- Je suppose que vous désapprouvez.
- Il n'appartient pas au gouvernement de décréter qui a le droit de s'aimer.
[...]
- Pourtant, c'est déjà le cas.
- Cela n'en est pas plus juste pour autant.
- Comment peux-tu dire ça ? s’emporta-t-elle alors, en proie à une violente colère. Comment peux-tu prétendre que ça ne fait rien ?
- Parce que la mort a toujours fait partie de ma vie, répondit simplement Estelle. Elle n’a rien d’étrange pour moi. Ce n’est que le saut dans l’inconnu qui nous rend nerveux. En plus de ceux que nous laissons derrière nous. En fin de compte, la mort est beaucoup plus dure à supporter pour les vivants.
« — Vous avez affirmé, reprit Strangford, implacable, qu’à cause de votre parenté, vous ne pourriez jamais être autre chose qu’une maîtresse pour un homme de haut rang.
Les mots, douloureux, n’étaient pourtant que le reflet de la vérité pure et simple, exprimée sans ambages.
— Sachez que vous avez tort, acheva-t-il.
— Milord… commença Lily.
Mais il intervint, plus vif qu’à son habitude :
— Non. Je suis un homme de haut rang, et vous êtes déjà plus que cela pour moi. Vous êtes une consœur, la seule femme de ma connaissance à savoir ce qu’être accablé par cette terrible connaissance signifie. Et vous êtes mon amie. (Il avait prononcé ce dernier mot d’un ton farouche, comme s’il était prêt à se battre pour cette notion.) Je connais votre caractère, j’en ai été témoin plus intimement que quiconque. Votre courage, votre force, votre loyauté sans faille. Je ne vous laisserai pas commettre l’abominable erreur de croire que votre valeur se résume aux conditions de votre naissance. Vous êtes plus que cela. (Il déglutit péniblement. Sa voix était enrouée lorsqu’il ajouta : ) Bien plus que cela.
Quelque chose se brisa en elle, mis à mal par l’impact de ses paroles. L’espace d’un instant, elle se demanda si elle n’allait pas s’effondrer tout entière.
Elle lui répondit avec calme, mais détermination :
— Il est impossible de fermer les yeux sur les mœurs de toute une société.
— Venant d’une femme en pantalon…
L’ironie ne lui échappait pas et elle sentait déjà une réponse lui monter aux lèvres. »
- J'ai dit que je vous soutiendrais dans cette affaire, lui dit-il.
- En effet, quand vous me preniez pour une femme respectable.
Sa bouche frémit aux commissures et il répondit :
- Miss Albright. Je vous ai rencontrée alors que vous étiez étalée sur la route en pantalon. Je n'aurais jamais risqué de vous prendre pour quelqu'un de banalement respectable.
Quel genre de personne pouvait être sereine face à un pouvoir qui lui montrait le pire de ce que l'avenir réservait sans lui donner la possibilité de le changer ?
𝑰𝒍 𝒏'𝒂𝒑𝒑𝒂𝒓𝒕𝒊𝒆𝒏𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒂𝒖 𝒈𝒐𝒖𝒗𝒆𝒓𝒏𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕 𝒅𝒆 𝒅𝒆́𝒄𝒓𝒆́𝒕𝒆𝒓 𝒒𝒖𝒊 𝒂 𝒍𝒆 𝒅𝒓𝒐𝒊𝒕 𝒅𝒆 𝒔'𝒂𝒊𝒎𝒆𝒓.
« — Votre sang coule sur la route.
Il fouilla dans sa poche et en sortit un carré de soie noire soigneusement roulée en boule. Il la déroula et Lily reconnut la longueur d’une cravate. Il la lui tendit.
Elle hésita.
— Allez-y, l’encouragea-t-il.
— Je vais la tacher.
— Cela me donnera une autre excuse pour ne pas la porter. »
À présent, elle se fichait bien de ce que pensait le monde, des frontières artificielles en apparence infranchissables que leurs naissances avaient tracées entre eux. Son refus de revivre l'histoire de sa mère n'avait jamais été qu'une excuse, un moyen de se protéger. Mais Strangford avait raison. Rien n'était absolument sans danger. Si elle attendait d'être en parfaite sécurité pour saisir la chance d'être heureuse, elle n'avait pas fini d'attendre.
Il fouilla dans sa poche et en sortit un carré de soie noire soigneusement roulée en boule. Il la déroula et Lily reconnut la longueur d’une cravate. Il la lui tendit.
Elle hésita.
- Allez-y, l’encouragea-t-il.
- Je vais la tacher.
- Cela me donnera une autre excuse pour ne pas la porter.
- Mieux vaut donc ne pas faire de bruit.
Il arqua un sourcil.
- Avez-vous la moindre idée du nombre de morceaux de sucre que j'ai chapardés dans le garde-manger de la maison de mon enfance ?
- Non.
- La cuisinière non plus.
Lily étouffa un rire, qui sortit comme une toux étranglée. La neige redoubla, tombant à présent à gros flocons.