Une union sans amour, c’est long et souffrant. Je préfère ma vie de célibataire, au moins je possède la liberté, c’est pour moi une agréable compagne.
C’était inimaginable à quel point il aimait cette femme, mais c’était aussi extrêmement douloureux. Malgré la profondeur de ses sentiments, jamais il ne partagerait sa vie avec elle puisqu’elle était l’épouse de son frère. Quelquefois, l’envie de s’enfuir au loin pour n’avoir plus à la côtoyer s’emparait de son esprit. Cependant, la perspective de ne plus la voir, de ne plus entendre sa voix, lui était insupportable.
L’attirance entre deux êtres était pour Aristide un fait mystérieux ; à trente-quatre ans, il en avait connu des femmes, toutes plus jolies les unes que les autres, mais en serrant la main d’Agnès, il avait eu l’étrange sentiment que celle-là lui était prédestinée. Son regard pur, sa voix enjouée et cette simplicité dans les gestes avaient eu le don de conquérir son cœur de célibataire. D’ailleurs, cette jeune femme arrivait à point dans sa vie, car, pour lui, le moment était venu de concevoir un héritier ; l’honorable nom des Martel devait lui survivre.
Agnès s’était rendu compte que, depuis son tout jeune ge, sa petite souffrait de l’indifférence d’Aristide. Aussi avait-elle abordé le sujet avec son mari. Ce dernier avait rapidement décrété que la vertu des filles nécessitait la surveillance de leur mère et que les pères n’étaient là que pour subvenir à leurs besoins et leur trouver un excellent parti à épouser. Pourtant, avait-elle songé sans oser l’exprimer, l’amour paternel était une attente légitime de la part d’une enfant. Mais, connaissant son mari, rigide et froid envers sa fille, et sachant qu’elle ne pourrait pas modifier son attitude, elle n’avait pas insisté.
Dans toutes les larmes s’attarde un espoir.
Simone de Beauvoir