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Citations sur Le renard et le hérisson (8)

Parmi les fragments conservés du poète grec Archiloque l'on trouve ceci : " Le renard connait beaucoup de choses, mais le hérisson en connait une seule grande." La formule peut servir à différencier, selon Isaiah Berlin, deux sortes de personnes...: ceux qui possèdent une vision centrale, systématisée de la vie, un principe ordonnateur en fonction duquel s'organisent et prennent sens les événements historiques et les menus faits individuels, la personne et la société; et ceux qui ont une vision dispersée et multiple de la réalité et des hommes, qui n'intègrent pas ce qui existe dans une explication ou un ordre cohérent, qui perçoivent le monde comme une diversité complexe... Dante, Platon, Hegel, Dostoïevsky, Nietzsche, Proust furent, d'après Isaiah Berlin, des hérissons. Et Shakespeare, Aristote, Montaigne, Molière, Goethe, Balzac, Joyce : des renards.

(p.39)
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Par tempérament, TolstoÏ n'était pas visionnaire. Il voyait dans leur entière multiplicité, la masse d'objets et de situations sur la terre; avec une clarté sans égale il en saisissait l'essence individuelle, et surtout reconnaissait ce qui les divisait. Toute doctrine réconfortante cherchant à réunir, à relier, à synthétiser, à déceler des substrats cachés et des connexions internes qui, tout en n'étant pas apparentes à l'oeil nu, garantissent cependant l'unité de toutes choses (...) toutes ces doctrines Tolstoï les rejetait avec dédain et sans difficulté. (...)Néanmoins, il aspirait à trouver un principe d'explication universelle, c.à.d. à percevoir les ressemblances, les origines communes, le but unique ou l'unité dans la diversité apparente du bric-à-brac désordonné qui meuble le monde.

(pp.98-99)
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Voici, alors, la grande illusion que Tolstoï se donne pour tâche d'anéantir : l'illusion que les individus peuvent, par le recours à leurs propres ressources, comprendre et contrôler le cours des événements. Ceux qui croient pouvoir y réussir font une funeste erreur. Et à côté de ces figures publiques - ces hommes creux, en partie victimes d'une illusion, en partie conscients de leur mauvaise foi, qui parlent, qui écrivent, désespérément et sans objet, afin de sauvegarder les apparences et éviter de voir l'âpre vérité - à côté de ce mécanisme compliqué, déstiné à dissimuler le spectacle de l'impuissance, de l'inconséquence et de l'aveuglement des hommes, s'étend le monde réel, le courant vital que tout homme comprend, les détails communs de la vie quotidienne.Quand Tolstoï compare cette vie réelle, cette expérience individuelle authentique, "vivante", de tous les jours, à la vue "panoramique" forgée par les historiens, il sait que l'une est vraie et l'autre n'est qu'une construction cohérente, quelquefois élégamment concue, mais toujours fictive.

(pp.75-76)
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Si opposés que furent Maistre et Tolstoï - l'un apôtre de l'évangile qui prêche la fraternité entre les hommes, l'autre le froid défenseur des droits de la violence, du sacrifice aveugle, et de la souffrance éternelle - ils étaient unis par l'impossibilité d'échapper au même tragique paradoxe : ils étaient tous les deux, de par leur nature, des renards au regard perçant, inévitablement conscients des différences absolues, de facto, qui divisent le monde des humains, et des forces qui le bouleversent; c'étaient des observateurs qui ne pouvaient aucunement être abusés par tous ces articles subtils - les systèmes unificateurs, les croyances et les sciences, qui servaient aux êtres superficiels ou désesperés à se dissimuler le chaos et à le dissimuler aux autres.
(...)
Alors, réduits finalement au désespoir, ils offrirent de jeter bas les armes terribles de la critique dans laquelle ils excellaient tous les deux, particulièrement Tolstoï, en faveur de la grande vision unique, si simple, indivisible et éloignée de tous les procédés intellectuels habituels, qu'elle est inattaquable par les instruments de la raison,et peut-être capable dès lors d'ouvrir une voie vers la paix et le salut.
(...)
TolstoÏ mourut dans les tourments, oppressé par le fardeau de son infaillibilité intellectuelle et de sa perpétuelle erreur morale : le plus illustre de ceux qui n'arrivent ni à réconcilier, ni à laisser irréconcilié le conflit entre ce qui est et ce qui devrait être.
(...)
A la fois follement orgeuilleux et rempli de haine de soi, omniscient et doutant de tout , froid et violemment passionné, méprisant, se dénigrant lui-même , tourmenté et détaché, entouré d'une famille qui l'adorait, de disciples dévoués, de l'admiration du monde civilisé tout entier, et pourtant presque entièrement isolé, il est le plus tragique de tous les grands auteurs,un vieillard désesperé, au-delà de tout secours humain, errant, aveuglé par lui-même, à Colone.

(pp.163-165)
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Le comte savoyard ( de Maistre) et le comte russe (Tolstoï) réagissent tous les deux, et violemment, contre l'optimisme libéral confiant en la bonté humaine, la raison humaine, et la valeur, ou le caractère inévitable du progrès matériel: tous deux condamnent totalement la notion que des moyens scientifiques et rationnels peuvent rendre l'humanité éternellement heureuse et vertueuse.

(pp.128-129)
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Ce n'est pas le moindre paradoxe que quelqu'un comme Isaiah Berlin, qui aimait tellement les idées et évoluait si aisément parmi elles, soit convaincu que ce sont celles-ci qui doivent toujours se soumettre si elles entrent en contradiction avec la réalité humaine, car si c'est l'inverse qui se produit, les rues se remplissent de guillotines et de poteaux d'exécution, et s'instaure le règne des censeurs et des policiers.

(p.12)
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Cependant, l'analogie ne doit pas être trop soulignée: il estr vrai que Maistre et Tolstoï attachent tous deux la plus grande importance à la guerre et aux conflits, mais Maistre, comme après lui Proudhon, glorifie la guerre... tandis que Tolstoï la hait...Maistre croyait en l'autorité parce que c'était une force irrationnelle. Il croyait au besoin de soumission, au caractère inévitable du crime à l'importance suprême de l'inquisition et du châtiment.
(...)
Avec Tolstoï nous sommes loin de toute cette horreur, de ces crimes et de ce sadisme... TolstoÏ lutta durant sa vie entière contre l'obscurantisme et la repression artificielle du désir de connaître...Donc rien n'aurait irrité et choqué Tolstoï autant que d'entendre qu'il avait beaucoup en commun avec cet apôtre de l'obscurantisme, ce défenseur de l'ignorance et du servage... Néanmoins... Tous deux ont la même méfiance ironique, presque cynique envers le progrès de la société obrenu par des moyens rationnels: de bonnes lois ou la propagation de la connaissance scientifique.

(pp.131-134)
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Toutes les utopies sociales - de Platon à Marx - sont parties d'un acte de foi: à savoir que les idéaux humains,les grandes aspirations de l'individu et de la collectivité sont capables de s'harmoniser (...) Rien, peut-être, n'exprime mieux cet optimisme que le slogan rythmique de la Révolution française : Liberté, Egalité, Fraternité (...) Les révolutionnaires français ont découvert, stupéfaits, que la liberté était une source d'inégalités (...) Ainsi, pour établir l'égalité, il n'y aurait d'autre remède que de sacrifier la liberté, d'imposer la contrainte, la surveillance et l'action toute-puissante et niveleuse de l'État. Que l'injustice sociale soit le prix de la liberté et la dictature celui de l'égalité - et que la fraternité ne puisse s'instaurer que de façon relative et transitoire, pour des causes plus négatives que positives (...) est quelque chose de regrettable et difficile à accepter.

Cependant, d'après Isaiah Berlin, ce qui est plus grave que d'accepter ce terrible dilemme du destin humain, c'est de refuser de l'accepter ( faire l'autruche).

(pp.22-23)
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