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Isaiah Berlin (Autre)John E. Jackson (Traducteur)
EAN : 9782251450957
140 pages
Les Belles Lettres (08/10/2020)
5/5   2 notes
Résumé :
« Le renard sait beaucoup de choses, mais le hérisson sait une grande chose. »
Cet aphorisme du grec ancien, qui fait partie des fragments du poète Archiloque, décrit la thèse centrale de l’essai magistral d’Isaiah Berlin sur Léon Tolstoï et la philosophie de l’histoire, sujet de l’épilogue de Guerre et Paix.
Bien qu’il y ait eu de nombreuses interprétations de cet adage, Berlin s’en sert pour opérer une distinction fondamentale entre les êtres humains... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Quand le plaisir d'écrire rejoint celui de lire
OU
la plongée dans le monde d'un grand penseur.


Qu'arrive-t-il quand un très grand penseur en contemple un autre ? Et bien quelque chose comme ce livre. Isaiah Berlin y contemple la figure de Tolstoï sous l'angle de sa théorie de l'histoire. Pouvons-nous comprendre ce qui fait bouger l'histoire ? Pouvons-nous expliquer ce qui s'est passé ou prédire ce qui va avoir lieu ? L'histoire est-elle, d'ailleurs, déterminée, ou est-elle un domaine de liberté ? Voilà les questions qui passionnaient Tolstoï, et Belin y voit une lucarne par laquelle entrevoir l'esprit de l'homme, sa personnalité, son caractère.

Il y a ceux qui croient que l'histoire peut se mener en temps réel. Choisissez votre politicien préféré. Pour Tolstoï, l'exemple type était Napoléon, pour certains l'homme providentiel, l'homme de la destinée, l'empereur! Pour le russe Tolstoï, dont il a d'ailleurs essayé d'envahir le pays en 1812, c'est un fat. Il ne contrôle rien. Il joue un show et les autres font semblant de croire qu'il a ce genre de pouvoir. Ou il sont assez naïfs pour le croire. Ou ils finissent pourchassés par Fouché parce qu'ils disent ne pas le croire. Napoléon ou Bokassa, c'est une simple question de degré dans la fatuité. L'histoire ne se domine pas, parce qu'elle ne se comprend pas. Certes, Tolstoï est un déterministe : nous ne sommes pas libres, l'histoire suit des lois, mais nous ne les connaissons pas. C'est que ses lois ne sont pas (relativement) simples comme celles des sciences naturelles: on ne peut pas les déduire d'expériences ou d'observations. Pour les dériver, il faudrait connaître toutes les variables qui déterminent un événement donné et étudier toutes leurs interactions. Comme quand on calcule un intégral : l'on additionne tous les intervalles infinitésimaux qui se situent sous le graphe de la fonction. En affaires humaines, c'est impossible. Toute étude historique est un pastiche.
Nous ne pouvons donc ni comprendre le passé, ni prédire l'avenir, et toute proposition d'une politique salvatrice n'est qu'illusion ( ce qui ne veut pas dire qu'aucun programme politique n'a de sens, mais, plus simplement, que la résolution de la condition humaine n'est pas dans les moyens de la politique).

Berlin constate avec surprise qu'à ce titre Tolstoï rejoint le plus extrême des réactionnaires du XIXème siècle, Joseph de Maistre. La différence est que, ce qui pour Tolstoï est un problème épistémique ( nous ne pouvons connaître les causes efficaces de l'histoire et nous ne pouvons donc pas la diriger) était pour De Maistre un problème ontologique ( l'homme est une créature viciée dont les abominations ne peuvent être limitées que par la répression) . Il voit aussi dans la conception historique de Tolstoï son appartenance ( et celle de de Maistre) à la catégorie des “renards”, ceux qui sont impressionnés par la multiplicité, la diversité des choses, qui veulent lui faire justice, et qui s'opposent ainsi aux bâtisseurs de systèmes, les “hérissons”. Il finit par noter que ce pauvre renard aurait tellement voulu être un hérisson, qu'il a oscillé sa vie durant entre ces deux pôles, et n'a jamais résolu cette tension.

Un petit livre qui dit beaucoup, dans un langage totalement dénué de jargon, extrêmement bien écrit. On sent la profondeur de l'esprit d'un penseur comme Berlin, on voit le panorama de ses réflexions s'ouvrir, on ressent aussi le plaisir qu'il a éprouvé à penser et à écrire. Un joyau !


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On ne présente pas Isaiah Berlin, auteur du fameux Karl Marx, du Hérisson et le renard consacré à Tolstoï que l'on croyait Hérisson, eh ben non, selon la grille de lecture du grand penseur historico-politico-social, c'est un renard, quoique ? ... Cette dernière oeuvre est parue dans une réflexion plus générale sur les penseurs russes en 1984 dans sa traduction française. Ici on y trouve en moins la réflexion générale, mais on y gagne par une préface nouvelle de l' auteur hispano-américain et prix Nobel de littérature 2010 Mario Vargas Llosa au texte de Isaiah Berlin. Il va donc être question ici de la préface de llosa qui fait une quarantaine de pages.

Llosa n'est visiblement pas à la hauteur de Berlin, non pas qu'il n'arrive pas à approcher de temps à autre la pensée du philosophe, mais qu'il ne présente aucune plus-value à la théorie du Hérisson et du renard, puisée rappelons-le chez le philosophe grec Archiloque, sur laquelle Berlin prend appui pour tenter de classer en deux ordres les motivations et modalités des grands penseurs qui éclairent le monde philosophique, littéraire en gros depuis Shakespeare, Montaigne..

Jusqu'à la page 39, Llosa considère que Berlin est un renard, qu'il cache son jeu dans une espèce de "fair-play" vis-à-vis des grands philosophes en faisant comme s'il se faisait petite souris dans le secret de ceux-là et de ne laisser rien paraître de lui-même. Il ne précise pas qu'en présence des grandes pensées, le minimum est déjà de les comprendre, de les respecter puis de les valoriser et de les transcender, voire de les comparer. Non, llosa pose comme postulat que la démarche de Berlin est d'éclaircir le cheminement de la pensée chez l'un, chez l'autre ; d'ailleurs lui-même se propose de faire la même chose, mais ne planche pas sur le Hérisson et le renard, mais plutôt sur la personnalité de Berlin, sa vie, son oeuvre par un baratin, et une paraphrase presque fumiste. Pour simplifier le propos, il fait fort, se perd dans des salmigondis grotesques.. C'est bien décevant, et ce n'est pas le sujet.

Alors on arrive à la page 39 où il est question seulement du Hérisson et du renard, éclaire les travaux de Berlin eu égard à Tolstoï que celui-ci en fait est une cote mal taillée qui échappe à tous les critères de classement en passant allègrement du Hérisson au renard et du renard au hérisson. Ben oui, parce qu'on ne peut pas dire que le déterminisme historique plaidé dans Guerre et paix soit de nature renard quand il dénie l'impact individuel des chefs de guerre sur le sort des batailles, comme on ne peut pas dire qu'à la fin de sa vie qui fut marquée en gros par un christianisme originel soit non plus de la classe du renard. Au moment de conclure à la page 44, on aimerait lire au moins une ligne de pensée de Llosa sur le sujet, eh bien on en sera pour nos frais !
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Si opposés que furent Maistre et Tolstoï - l'un apôtre de l'évangile qui prêche la fraternité entre les hommes, l'autre le froid défenseur des droits de la violence, du sacrifice aveugle, et de la souffrance éternelle - ils étaient unis par l'impossibilité d'échapper au même tragique paradoxe : ils étaient tous les deux, de par leur nature, des renards au regard perçant, inévitablement conscients des différences absolues, de facto, qui divisent le monde des humains, et des forces qui le bouleversent; c'étaient des observateurs qui ne pouvaient aucunement être abusés par tous ces articles subtils - les systèmes unificateurs, les croyances et les sciences, qui servaient aux êtres superficiels ou désesperés à se dissimuler le chaos et à le dissimuler aux autres.
(...)
Alors, réduits finalement au désespoir, ils offrirent de jeter bas les armes terribles de la critique dans laquelle ils excellaient tous les deux, particulièrement Tolstoï, en faveur de la grande vision unique, si simple, indivisible et éloignée de tous les procédés intellectuels habituels, qu'elle est inattaquable par les instruments de la raison,et peut-être capable dès lors d'ouvrir une voie vers la paix et le salut.
(...)
TolstoÏ mourut dans les tourments, oppressé par le fardeau de son infaillibilité intellectuelle et de sa perpétuelle erreur morale : le plus illustre de ceux qui n'arrivent ni à réconcilier, ni à laisser irréconcilié le conflit entre ce qui est et ce qui devrait être.
(...)
A la fois follement orgeuilleux et rempli de haine de soi, omniscient et doutant de tout , froid et violemment passionné, méprisant, se dénigrant lui-même , tourmenté et détaché, entouré d'une famille qui l'adorait, de disciples dévoués, de l'admiration du monde civilisé tout entier, et pourtant presque entièrement isolé, il est le plus tragique de tous les grands auteurs,un vieillard désesperé, au-delà de tout secours humain, errant, aveuglé par lui-même, à Colone.

(pp.163-165)
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Voici, alors, la grande illusion que Tolstoï se donne pour tâche d'anéantir : l'illusion que les individus peuvent, par le recours à leurs propres ressources, comprendre et contrôler le cours des événements. Ceux qui croient pouvoir y réussir font une funeste erreur. Et à côté de ces figures publiques - ces hommes creux, en partie victimes d'une illusion, en partie conscients de leur mauvaise foi, qui parlent, qui écrivent, désespérément et sans objet, afin de sauvegarder les apparences et éviter de voir l'âpre vérité - à côté de ce mécanisme compliqué, déstiné à dissimuler le spectacle de l'impuissance, de l'inconséquence et de l'aveuglement des hommes, s'étend le monde réel, le courant vital que tout homme comprend, les détails communs de la vie quotidienne.Quand Tolstoï compare cette vie réelle, cette expérience individuelle authentique, "vivante", de tous les jours, à la vue "panoramique" forgée par les historiens, il sait que l'une est vraie et l'autre n'est qu'une construction cohérente, quelquefois élégamment concue, mais toujours fictive.

(pp.75-76)
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Parmi les fragments conservés du poète grec Archiloque l'on trouve ceci : " Le renard connait beaucoup de choses, mais le hérisson en connait une seule grande." La formule peut servir à différencier, selon Isaiah Berlin, deux sortes de personnes...: ceux qui possèdent une vision centrale, systématisée de la vie, un principe ordonnateur en fonction duquel s'organisent et prennent sens les événements historiques et les menus faits individuels, la personne et la société; et ceux qui ont une vision dispersée et multiple de la réalité et des hommes, qui n'intègrent pas ce qui existe dans une explication ou un ordre cohérent, qui perçoivent le monde comme une diversité complexe... Dante, Platon, Hegel, Dostoïevsky, Nietzsche, Proust furent, d'après Isaiah Berlin, des hérissons. Et Shakespeare, Aristote, Montaigne, Molière, Goethe, Balzac, Joyce : des renards.

(p.39)
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Par tempérament, TolstoÏ n'était pas visionnaire. Il voyait dans leur entière multiplicité, la masse d'objets et de situations sur la terre; avec une clarté sans égale il en saisissait l'essence individuelle, et surtout reconnaissait ce qui les divisait. Toute doctrine réconfortante cherchant à réunir, à relier, à synthétiser, à déceler des substrats cachés et des connexions internes qui, tout en n'étant pas apparentes à l'oeil nu, garantissent cependant l'unité de toutes choses (...) toutes ces doctrines Tolstoï les rejetait avec dédain et sans difficulté. (...)Néanmoins, il aspirait à trouver un principe d'explication universelle, c.à.d. à percevoir les ressemblances, les origines communes, le but unique ou l'unité dans la diversité apparente du bric-à-brac désordonné qui meuble le monde.

(pp.98-99)
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Cependant, l'analogie ne doit pas être trop soulignée: il estr vrai que Maistre et Tolstoï attachent tous deux la plus grande importance à la guerre et aux conflits, mais Maistre, comme après lui Proudhon, glorifie la guerre... tandis que Tolstoï la hait...Maistre croyait en l'autorité parce que c'était une force irrationnelle. Il croyait au besoin de soumission, au caractère inévitable du crime à l'importance suprême de l'inquisition et du châtiment.
(...)
Avec Tolstoï nous sommes loin de toute cette horreur, de ces crimes et de ce sadisme... TolstoÏ lutta durant sa vie entière contre l'obscurantisme et la repression artificielle du désir de connaître...Donc rien n'aurait irrité et choqué Tolstoï autant que d'entendre qu'il avait beaucoup en commun avec cet apôtre de l'obscurantisme, ce défenseur de l'ignorance et du servage... Néanmoins... Tous deux ont la même méfiance ironique, presque cynique envers le progrès de la société obrenu par des moyens rationnels: de bonnes lois ou la propagation de la connaissance scientifique.

(pp.131-134)
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