Citations sur Une place sur terre (14)
Ecrire ce que je n'avais ni su ni pu écrire était une manière de régler une dette, d'achever l'inachevé; écrire comment ça s'écrit ou ne s'écrit pas un moyen de sonder la manière dont nos vies se construisent autant que nous les construisons, dans le miroir des autres tendu.
J'écris ces lignes quinze ans plus tard, du plus profond des Cévennes, devant le spectacle des causses , immuable à l'échelle humaine (...)
Les Cévennes sont une terre de résistance et d'expérience. (p. 126)
Bled est peut-être le mot qui contient le mieux toutes les années de mon enfance et de mon adolescence pour désigner le peu et le tout. La société des adultes avait alors décrété que dans les bleds il n'y avait pas d'avenir. Puisqu'il en était ainsi, je serais journaliste, (...) je comprendrais l'inexplicable, je regarderais ce qu'on ne veut pas voir, je traverserais le miroir des clichés, je témoignerais, je transmettrais. (p. 33)
C'est là, comme la goutte d'eau de trop dans un vase qui se remplit chaque jour, que le journalisme m'a quittée, ou plus exactement, quelque chose de ce métier embrassé à vingt ans la fleur au bout du fusil m'a quittée dans l'enceinte des murs de la justice des hommes où l'on est aussi et peut-être même surtout son propre juge.... (...) il ne m'a plus été possible de tenir la posture de l'objectivité, doxa du journalisme moderne. Finalement qu'est-ce que l'objectivité, si ce n'est regarder le spectacle du monde et en rendre compte du haut d'un arbre, la conséquence étant d'écraser celui qui lit au lieu de l'amener à penser ? (p. 58)
On n'essaie pas de se figurer ce que signifie réellement être privé du savoir et de la connaissance. On mesure plus rarement encore la perte que cela représente pour une société de ne pas savoir les transmettre à ses enfants. (p. 83)
Dans l'édition de 1997 du petit Robert, le sens figuré de bled a évolué. Il n'est plus péjoratif, seulement familier, et pour l'illustrer, "un petit bled sympa" s'est substitué à "on s'ennuie dans ce bled". L'époque autorise un retour à ce que l'on a perdu. (p. 107)
Je ne connaissais pas encore la roche-mère à laquelle puisent les racines des vignes dès lors qu'elles ont pu, jeunes, prendre appui sur un tuteur, et donner ce qu'elles ont à donner. (p. 75)
Comme les contes, les faits d'hiver commencent par la banalité de la vie pour mieux nous enseigner que la vie est tout sauf banale. La vie est tout à la fois sourde et explosive, rampante et torrentielle, puissante et ténue, inattendue et prévisible, abyssale et vertigineuse, sombre et lumineuse, limpide et trouble. Elle échappe à nos tentatives de rationalisation, de cloisonnement, de contenance. La vie nous est donnée. Elle ne s'explique pas. Les faits divers ne sont pas divers du tout. Ce sont des entrelacs de lignes de vie qui finissent par n'en faire qu'une et nous ramènent à notre humanité. (p. 61)
On ne sait pas se départir d'une fascination pour l'indicible, l'inaudible, l'inexcusable, l'insoutenable, ni de la concomitante nécessité de la partager, car on sait au plus profond de nous que ces actes sont des messages qui s'adressent à nos failles secrètes. (p. 73)
L'objectivité a conduit à la mise en spectacle de l'information et continue à ce jour d'appauvrir la pensée. On regarde toujours les choses de là où l'on vient et de ce que l'on est. (p. 29)
Il y a chez les émigrants la conscience aiguë de la perte qui devient une dette. (p. 35)