AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Pour Genevoix (16)

L'un des moments les plus troublants de Ceux de 14, presque surnaturel, est celui où Genevoix est sauvé de la mort par un mourant. Un soldat, sans doute paralysé par une balle reçue dans la moelle épinière, est étendu sur d'autres cadavres en travers du boyau où s'est engagé l'officier. Par la seule intensité de son regard, où s'est concentré ce qui lui reste de vie, le blessé prévient Genevoix de la balle qui l'attend au créneau où lui vient d'être abattu, dans l'axe de tir au bout duquel le guerrier allemand embusqué guette sa prochaine cible. Ce qui relie alors le mourant à celui qui conserve la vie grâce à lui est inexprimable, sauf par Ceux de 14. Il faut aller voir comment c'est dit et comment est dit l’effort d’expression muette du mourant, puis le soulagement dans ses yeux quand il sait qu'il a été compris, qu'il a sauvé la vie de l'inconnu qui passe, ce soldat français, son camarade. Le regard de cet homme - qui était-il ? - a sauvé le sous-lieutenant Genevoix devenu, pour toujours, leur regard à tous.
Commenter  J’apprécie          472
Ce n'est pas diminuer Genevoix que de considérer en lui le medium, le porte-parole de millions de combattants de tous les pays, le témoin. Les trois balles qui l'ont soustrait vivant de l'épreuve où la majorité des officiers d'infanterie mobilisés en août 1914 succombèrent ont quelque chose de miraculeux. C'est comme s'il avait été désigné par elles. Les trois balles allemandes filent droit dans le sous-bois de la Tranchée de Calonne, sifflent et frappent : « Ce sera toi. » Quatre soldats déposent le corps pantelant d'un lieutenant dans une toile de tente fixée à deux perches. Ils emmènent vers le poste de secours, à travers le terrain bouleversé, entre les arbres où percent les feuilles de la neuve saison, un grand écrivain.
Commenter  J’apprécie          380
C'est dans cette phase de la guerre, dans les combats incertains des jours suivant la bataille de la Marne, au milieu de ce bois de la Tranchée de Calonne où se trouvait le régiment de Maurice Genevoix, que fut tué l'auteur du Grand Meaulnes. Parmi les cris, les appels et les plaintes qu'il avait entendus venir de la forêt, il y avait eu la voix du lieutenant Henri-Alban Fournier, dit Alain-Fournier, homme des bords de Loire comme lui, son prédécesseur à la khâgne de Lakanal, à peine plus âgé et déjà connu dans le Paris littéraire. Au milieu de la forêt meusienne où disparaissait un écrivain français, un autre naissait. Maurice Genevoix était sans superstition, mais il croyait à une sorte d'équilibre supérieur dans les choses du monde. La guerre y faisait un trou aveugle, puis l'univers se reformait, comme la surface de la mer. Ce qu'elle avait enlevé à la littérature française sur les Côtes de la Meuse, la guerre le lui avait rendu au même endroit.
Commenter  J’apprécie          380
A Genevoix, venu le remercier, chez lui, villa Montmorency à Auteuil, après qu'un jury dont il était membre avait récompensé en 1922 Rémi des Rauches, son deuxième roman, Gide avoua qu'il n'avait pas lu les livres de guerre du lauréat, malgré un bruit favorable, et que c'était ce roman récompensé qui lui avait fait découvrir un écrivain. On ne sait pas si l'homme de lettres se ravisa un jour, comme il le fit en faveur de Proust dont il avait autrefois refusé le manuscrit d'A la recherche du temps perdu chez Gallimard. En tout cas, c'est beaucoup pour un seul homme que d'avoir manqué, par préjugé, deux œuvres hors série.
Commenter  J’apprécie          370
A l'issue d'un de leurs rendez-vous, en décembre 1915, Dupuy descendit la rue Soufflôt et le boulevard Saint-Michel avec Genevoix en uniforme bleu ciel. Son bras en écharpe et son beau et pale visage retenaient le regard des passantes. Il le conduisait chez Hachette. Un contrat l'attendait sur le bureau du directeur de la maison, un vieux camarade auquel Dupuy avait montré les lettres du normalien. Le jeune homme se défendit une dernière fois en observant qu'on voulait lui faire contracter un engagement pour un livre qui n'existait pas. Dupuy lui montra sur le papier l'endroit où signer.

(...)

Dans le calme de la maison paternelle, Genevoix se mit au travail et commença son récit. Il avait près de lui son carnet de route et ses lettres de guerre que lui avait rendues Dupuy. Moins d'un mois après, il avait rédigé les trois cents pages du livre. En mai 1916, Sous Verdun était en librairie.
Commenter  J’apprécie          331
J'écris ce livre sur Maurice Genevoix pour que l'on se souvienne du temps où les mots étaient du côté des choses. L’écrivain de la Loire les a poussés, je crois, au plus près que l'on pouvait. Il avait, pour cela, au début de sa vie, dans un pays que je connais bien, payé un certain prix. C'est vers le mystère de cet écrivain, qui est peut-être le mystère de la littérature, que je me mets en route en commençant ces pages.
Commenter  J’apprécie          330
Après la proclamation de la mobilisation, deux jours avant de rejoindre le 106e régiment d'infanterie à Châlons-sur-Marne, délai de mise en route et lieu de ralliement prévus par son livret militaire, Maurice Genevoix était monté au sommet du clocher de Châteauneuf-sur-Loire, le cœur grave. De là-haut, point le plus élevé de la contrée, hauteur familière, il avait regardé autour de lui le pays qu'il aimait et qu'il s'apprêtait à quitter pour il ne savait quelle aventure. Il allait partir, calme et plein de curiosité, vers l'événement inconnu, énorme, terrible probablement, événement qu'il verrait de tout près, de l'intérieur du chaudron d'où sortirait l'avenir. Il allait être jeté dedans. Rien n'était changé de la vie paisible étalée sous ses regards : les toits des maisons assemblés en une mystérieuse harmonie, la Loire qui paresse et s'effile au loin, les champs cuits par l'été, la forêt de Sologne au noir pelage de bête, et les hommes que l'on ne voyait pas, sauf une charrette sur la route d'Orléans, image arrêtée d'une civilisation avant qu'elle bascule. Le passé le tenait au paysage par plus de liens
que tous les regards. Si l'on meurt, que perd-on ? C'est la première fois qu'il se posait cette question. La réponse lui parut étalée sous ses yeux. Ce pays, c'est moi. Si je meurs...
Commenter  J’apprécie          291
Il écrivit une série d'œuvres dites "autobiographiques" qui ne parlent pas de lui, mais sont le témoignage scrupuleux, le procès-verbal de ce que ses yeux avaient vu. Il était devenu l'oiseau immobile et très ancien, la chouette des Éparges et le grand harfang des neiges dont le regard doré contient les millions de scènes, la mémoire de l'espèce, regard qui traverse le temps, se coule dans la longue durée des livres.
Commenter  J’apprécie          280
Mille hommes étaient partis de la Tranchée de Calonne le 17 février. A leur retour au cantonnement, à Belrupt, dans la nuit du 21 au 22 février, il n'en restait pas la moitié. Maurice Genevoix était un des rares officiers qui n’avait pas été tué ou blessé, si l'on compte pour rien son visage et ses mains brûlés par les projections de poudre d'un obus de 210. L'engin, venu derrière lui, était tombé à ses pieds et avait tué tous les hommes assis dans l'entonnoir, sauf lui, parce qu'il était le plus près. La déflagration était passée au-dessus de sa tête. Le sous-lieutenant Robert Porchon avait eu moins de chance. Son meilleur ami, comme lui du Loiret, comme lui ancien du lycée d'Orléans, avec lequel il partageait tout depuis les premiers jours de la guerre, avait été tué d'un éclat d'obus qui lui avait défoncé la poitrine, le 19 ou le 20 février, on ne se souvenait plus, tandis qu'il allait faire panser au poste de secours une blessure à la tête. Maurice Genevoix apprit sa mort quelques heures après, encore sur la ligne de combat, sous les obus. Le chagrin le submergea et ce fut comme si l'angoisse et la peur se noyaient dans un désespoir plus grand et la révolte de tout son être.
Commenter  J’apprécie          280
Paul Dupuy, secrétaire général de l'Ecole normale supérieure, avait demandé aux élèves partis à la guerre de lui donner des nouvelles depuis le front. Le directeur de l'École, Ernest Lavisse, pensait ainsi pouvoir tenir à disposition de l'histoire nationale, et pour le témoignage des siècles, la chronique de la guerre telle que l’aurait vécue l’élite intellectuelle de la nation. Beaucoup d'élèves, sous-lieutenants d'infanterie dans les régiments d'active, furent rapidement tués, mais il était vite apparu que dans cette polyphonie d'intelligences formées au grec et au latin, à la langue classique et qui savaient l’écrire, les lettres de Maurice Genevoix, tout en donnant une description scrupuleuse et vivante de ce qu'il voyait et ressentait, avaient dans leur manière, pourtant la plus simple et la plus directe, quelque chose qui touchait au cœur.
Commenter  J’apprécie          260






    Lecteurs (29) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

    Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

    amoureux
    positiviste
    philosophique

    20 questions
    851 lecteurs ont répondu
    Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

    {* *}