Souvent, j'ai vu des gladiateurs égorgés dans l arène. Ce n est pas par cruauté que nous nous complaisons à les regarder s affronter et mourir. Ce que nous recherchons au cirque n est pas une satisfaction féroce à la contemplation de la douleur et de l agonie, c'est le secret de la bravoure, c'est l exemple .Lequel d entre nous créerait grâce dans la bataille quand un esclave est capable de périr sans une plainte sur le sable de l amphithéâtre .
Un esclave me tendit un bassin d'argent ; je me levai et plongeait les mains dans l'eau. Je me purifiai du crime qui m'était imposé
. D'une voix cinglante, une voix de procurateur, la voix de Rome que j'avais soudain retrouvée, je lançai: - Je ne suis pas responsable de ce sang ! Je n'en porterai pas le poids, ni moi, ni César, ni Rome.
C'était le jugement d'autrui que j'entérinais sous la contrainte. Je ne faisais qu'appliquer à la lettre les accords et la loi. Malgré moi.
Outre que je ne connais pas plus Vilaine façon de mourir, j avais appris que la crucifixion représentait pour les juifs le sommet de l horreur et de la souillure : "il est maudites de Yahve,celui qui pend au bois".
Les semaines, les mois passèrent; le printemps arriva. J'essayais de gouverner la Judée et Lucius Arrius m'y aidait. Mais gouverne-t-on un volcan au bord de l'explosion ? Oeuvre de Pompée, l'annexion de la Palestine à l'Empire remontait à plus d'un demi-siècle et, pourtant, la paix romaine n'y était qu'un vain mot.
En vérité, plus j'étais confronté aux moeurs et aux mystères de l'Orient, moins je les entendais. Rien n'y était à la mesure de l'homme; de cela, j'avais eu l'intuition, pour parler comme Flavius, en arrivant pour la première fois devant Jérusalem. Ou peut-être devrais-je dire que rien n'y était fait à la mesure de l'homme romain, du fils de la Louve, du Citoyen ?
La paix romaine, les bienfaits de la civilisation ne justifiaient-t-ils pas tout ? Toi, Romain, tu es né pour soumettre les peuples et dicter tes lois à l'univers. Pourquoi commençai-je à douter de la mission de Rome?page 179
Il est facile de mourir quand personne n'a besoin de vous.
L'an passé, comme Petros venait de baptiser un groupe de néophytes, j'ai entendu l'un d'entre eux, d'un ton déçu, glisser à un ami :
-Ce n'est donc que cela…
A quoi s'était-il attendu ? A l'une de ces mascarades dans lesquelles sont passés maîtres les prêtres d'Isis l'Egyptienne, quand la statue de la déesse, mue par un habile mécanisme caché derrière un mur, s'anime soudain, et parle ? A un parcours semblable à celui auquel se soumettaient, dit-on, les initiés d'Eleusis, traversant à tâtons des corridors obscurs, à la poursuite de Demeter et de Perséphone ?
Oui, ce n'était que cela : un peu d'eau, et Petros, debout dans le bassin, levant sa main dont j'ai constaté, non sans tristesse car nous sommes du même âge, que le rhumatisme la déformait chaque jour un peu plus. Mais cela, c'est ce que voient les yeux...
La foule, ce monstre haïssable, n’avait pour l’heure qu'un visage et qu'une voix, mais si je donnais l'ordre à mes soldats de tailler dans chair, l’hydre redeviendrait une multitude d'innocents. Comprenait-elle qu'elle n'était qu'un jouet manipulé par les sanhédrites ? L'instrument de la vengeance des pharisiens dont le Galiléen s'était fait d’implacables ennemis ? Jésus bar Joseph n'avait pas prêché la révolte contre Rome ; il avait demandé à son peuple de se réformer, de se rendre digne du liberté plus haute que celle a laquelle il aspirait. Page 232
Ma vie entière, je me suis appliqué à demeurer fidèle aux leçons de mon père. J'ai servi Rome, lumière du monde et détentrice de la vérité.
Mais qu'est-ce que la vérité ? J'ai posé la question au Galiléen; il ne m'a pas répondu.
Père n'aurait rien demandé de semblable. Pour lui, les choses étaient ce qu'elles devaient être. Rome était sa vérité. Page 18