L'enfant de l'autre

Elle savait que son père se rapprochait d’elle, il lui témoignait de l’intérêt, de la confiance. Elle savait aussi qu’il se détachait de Lili. Mais elle se refusait le droit de peser dans cette espèce de balance des sentiments, de chantage à la préférence, elle ou moi.

Pour la troisième fois au moins depuis qu'il avait commencé la traite des vaches, une douzaine de belles pies noir, Etienne interrompait son travail, traversait la cour, ôtait ses bottes à la porte de la cuisine, entrait et s'avançait jusqu'au seuil de la chambre, qu'il ne franchissait pas.Pas question de s'approcher du lit dans sa tenue de travail, veste et pantalon de coutil où s'accrochaient encore quelques brins de paille, avec ses mains qui venaient de tirer les mamelles et en gardaient l'odeur et la moiteur acide. Le souci de l'hygiène n'était pas le seul à le retenir, il y avait aussi ce mélange de pudeur, d'impuissance, de crainte qui tenait les homme éloignés de ces choses-là, du domaine des femmes : Odette, son épouse était dans les douleurs pour la naissance de leur premier enfant. Et le temps se faisait long.

Mais pourquoi t’entêtes-tu à refuser ta fille ?
— Parce que je ne peux pas aimer l’enfant qui a pris la vie de sa mère Parce que je ne pourrai jamais la voir sans voir aussi Odette morte.

Quand on se convient bien et qu’on s’entend bien, disait d’ailleurs Léonie, le reste se fait naturellement, l’amour suit.

La beauté, mon garçon, ce n’est pas ce qui compte le plus pour une femme. Il t’en faut une solide, qui aimera ce que tu aimes, qui saura faire ce que tu fais.