Don Juan

Don Juan. - C'est vrai. Nous avons traqué ensemble un vieux fantôme. Mais vous êtes mon âme vivante, Isabelle. Le reste est poursuite du vent.

Anne. - Ne m'interrompez pas ! Nous ne sommes prêtes ni à l'un ni à l'autre à ce que vous voulez, Don Juan. Et rien ne pourrait naître entre nous maintenant que le vertige et la destruction. Retournez à Isabelle ! Faites-vous pardonner la lâcheté que vous avez commise tout l'heure. (Un silence.) Et n'attendez rien de moi !

[...]

Don Juan. - Ce sera long ?
Anne. - Cela dépendra de vous. (Un silence.) Je vous sauverai, Don Juan. (Un silence.) Je sais que ma tâche sera lourde. Mais c'est cet amour-là que j'ai pour vous.
(Un long silence.)
Don Juan. - Êtes-vous un ange ?
Anne. - Je suis une jeune fille.

Isabelle. - [...] Il y a cinq jours que nous nous sommes quittés.
Don Juan. - C'est si long ?
Isabelle. - Ce n'est pas long. On ne compte pas le temps quand on est mort. Je suis morte en votre absence.
Don Juan. - Comme on doit être heureux d'aimer de cette façon...
Isabelle. - Oui, Juan. C'est atroce et magnifique. Si le bonheur est de ne connaître aucun repos, de combattre sans cesse mille ennemis invisibles ou imaginaires, de rêver ce qu'on n'atteindra pas, de vouloir ce qui se refuse... Si le bonheur est d'avoir l'âme du riche et les vêtements du pauvre, je suis bien heureuse !
(Un long silence.)

Isabelle. - Je n'aurai jamais d'autre croix que vous, mon amour.
RIDEAU
Fin du 1er acte

Isabelle. - (dans un grand élan) Je suis heureuse, je l'aime. Ce n'est plus une phrase que j'ai sur les lèvres ou même dans le coeur. C'est une manière d'exister, de respirer, de toucher, ce bois, de regarder un visage, d'ouvrir ma fenêtre le matin, d'accueillir les choses qui viennent. Même s'il mourrait, même s'il m'abandonnait, Octavio, nul ne pourrait me reprendre ce qu'il m'a donné. Ah ! comme je voudrais pouvoir traduire ce qui se passe en moi. Vous sauriez alors que je n'ai point commis de trahison en vous quittant. Celle que vous avez connue est morte en vous aimant comme elle pouvait vous aimer. Une autre femme est née à sa place, qui a peut-être son visage, mais qui est aussi différente d'elle qu'elle l'est de toute femme au monde.

Isabelle. - Qu'il serait souhaitable de donner moins cours à un sentiment dont vos regards, vos soupirs et vos larmes font confidence à toute la ville !