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Critique de Apoapo


L'opinion diffuse auprès de ceux qui s'intéressent à la philosophie politique anticapitaliste, moi y compris, associe la théorisation du « droit à la paresse » et en général la critique du travail à l'anarchisme et non pas au marxisme. Après tout, une partie importante du Capital est consacrée à pronostiquer que le prolétariat ayant accédé au pouvoir est en mesure de se réapproprier la plus-value confisquée par le capitaliste ; la plupart des combats pour la réduction du temps de travail tout au long du XIXe et d'une grande partie du XXe siècles ont été menés d'abord et surtout par des mouvements anarcho-syndicalistes plutôt que par les partis marxistes ; le stalinisme a prôné le stakhanovisme, l'industrialisation forcenée, le productivisme à outrance ; et enfin, de nos jours, les mouvements de la décroissance et corrélativement du revenu universel ne se réclament pas exclusivement ni même prioritairement du marxisme..., Besancenot et Löwy s'avérant eux-mêmes opposés à celui-ci et assez discrets au sujet de celle-là.
Pourtant, cet ouvrage nous rappelle d'emblée que Marx a posé à plusieurs reprises l'idée que : « Le règne de la liberté ["Das Reich der Freiheit"] commence avec la réduction de la journée de travail », ou plus exactement : « [… il] commence là où finit la travail déterminé par le besoin et les fins extérieures : par la nature même des choses, il est en dehors de la sphère de la production matérielle. » (cit. p. 14).
Cet essai court et très lisible fait remonter la paternité du combat pour la réduction du travail aliéné, et dans une certaine mesure contre le productivisme, à Marx lui-même ; il s'articule comme suit. le chap. Ier, « Le règne de la liberté » s'attelle à baliser ce concept, en faisant appel à quelques cit. marxiennes tirées de différents ouvrages et mises en relation avec les élaborations successives de penseurs se réclamant de près ou de loin du marxisme, tels Dionys Mascolo, Walter Benjamin, Erich Fromm et Ernst Bloch. le chap. 2, « Marx et la lutte pour la réduction de la journée de travail », après avoir expliqué les raisons des lectures partiales du Capital, retrace les multiples prises de position de Marx sur cette question. le chap. 3, « Un siècle et demi de luttes pour la réduction de la journée de travail », évoque historiquement les étapes de ces conflits, en partant de la conférence syndicale de Chicago en 1884 jusqu'à la loi Aubry des 35 heures. le chap. 4, « La bataille autour du temps de travail au XXIe siècle », dénonce l'offensive généralisée contre la baisse du temps de travail : remise en cause de la notion même de durée légale du travail et autres éléments de langage du genre « travailler plus pour gagner plus », banalisation du travail dominical, report de l'âge légal de la retraite, métamorphoses du rythme et modalités d'activité produites par les nouveaux moyens technologiques, délocalisations des ateliers de production dans des pays où les conditions de travail sont esclavagistes, etc. Ce même chap. effleure également la question de l'épanouissement que la réduction du temps de travail provoquerait en termes de planification écosocialiste et donc de rupture avec le modèle productiviste et consumériste ainsi que de rééquilibrage des inégalités professionnelles de genre, résumé par la question rhétorique : « Que vaut l'émancipation des prolétaires si les "prolétaires des prolétaires", les femmes, restent prises au piège d'un ordre patriarcal ? » (p. 123). L'ouvrage se clôt par une fable d'anticipation intitulée « Isêgoria », campée à Paris en juin 2058, dans laquelle serait réalisée l'utopie d'une société entièrement autogérée et caractérisée par un travail facultatif et de durée dérisoire, par la quasi suppression des inégalités, par le principe de gratuité généralisé et la prolifération des arts et des loisirs de toutes sortes : une société pacifiée, conviviale et exerçant continuellement la démocratie participative...
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