Un essai passionnant, fruit de 15 années de recherche. Les deux sociologues ont pénétré les cabinets des notaires, avocat•es et magistrat•es, afin d'étudier les coulisses des héritages et des séparations. Que ce soit le divorce d'un PDG d'une entreprise de transport, celui de mères isolées, ou la mort très médiatisée de
Johnny Hallyday, elles passent au crible le contrôle, la circulation et la répartition de l'argent entre les personnes.
Les mécanismes aboutissent majoritairement en défaveur des pauvres : ce sont des cas moins intéressants à défendre pour des avocat•es commis•es d'office qui n'ont que peu de temps à leur accorder, contrairement aux avocat•es et notaires aux tarifs élevés qui prennent le temps sur le dossier de leurs client•es riches, se familiarisent, et offrent diverses combines pour de l'optimisation fiscale éventuellement... Et en défaveur des femmes : des pensions alimentaires faibles ou inexistantes, ne prenant pas en compte le travail domestique et le coût réel de l'éducation des enfants; et pour les héritages, des lignées masculines dans lesquelles on confie différemment l'argent à un homme, censé mieux savoir comment le faire fructifier.
Les a priori sexistes sont nombreux. Les femmes ne sauraient pas bien gérer l'argent. Dans les classes populaires ce sont souvent elles qui le gèrent ; mais dans les classes supérieures, quand il y a beaucoup d'argent, il est contrôlé par un homme, qui garde le contrôle et le pouvoir.
Les discriminations juridiques ont longtemps empêché les femmes d'accumuler de la richesse. Aujourd'hui les lois permettent une égalité théorique, qui n'est pas réalisée en pratique. L'inégalité est souvent due à des arrangements économiques familiaux. Or, avoir du patrimoine détermine l'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement.
Il y a plein de cas décrits finement. Celui que je garde le + en tête est la succession de 2 soeurs et 1 frère, organisée avant décès des parents. le frère hérite de + de patrimoine (locaux) pour monter son propre commerce (une boulangerie) et l'accord trouvé est de payer des pains au chocolat à ses soeurs tous les matins pendant quelques années. Oui, ça sent l'arnaque, et les femmes se font souvent avoir dans ses transactions intimes qui mêlent les valeurs, les obligations morales et l'argent.
Les sociologues prouvent qu'après un XXè ayant réduit la part de l'héritage dans le capital des personnes (on pouvait aussi acquérir du capital avec son travail, par exemple), on constate un retour du nécessaire héritage, et un retour de l'institution familiale comme acteur clé de l'économie. Qui renforce par conséquent les frontières de race et de classe.
Rejoignant les thèses des féministes matérialistes et de l'économie
Thomas Piketty, cet ouvrage fabuleux explorent les inégalités dans la France contemporaine, et m'a fait découvrir dans le détail les professions juridiques...qui jouent leur rôle aussi dans le creusement des inégalités économiques entre hommes et femmes, entre riches et pauvres.
En un mot, les classes sociales doivent être observées à partir des rapports familiaux et des inégalités de genre.