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Citations sur Ceci n'est pas un fait divers (435)

(Un détail, en passant : le mot « féminicide » est souligné en rouge dans le traitement de texte que j'utilise, comme le sont les mots qui n'appartiennent pas au dictionnaire. En fait, ce n'est pas un détail.)

Nous ne devions pas juger seulement un fait divers, mais un fait social. Nous ne devions pas parler d'une dispute conjugale qui aurait mal tourné, mais bien de l'aboutissement d'un continuum de violence et de terreur. Nous ne devions pas parler d'un meurtre, mais de la volonté d'un homme l'affirmer son pouvoir, d'asseoir sa domination. Et de l’aveuglement de la société. Et de la peur de nommer.

Notre mère, pourtant unique, était, soudain, toutes les femmes.
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Sans trembler, elle a dressé de notre père le portrait d’un être narcissique, dominateur et terrifié à l’idée d’être abandonné : « Au fond, il n’aime que lui, et ne conçoit pas qu’on ne l’aime pas en retour. Il a une certaine idée de la virilité, que des millénaires lui ont enseignée, que son histoire personnelle et familiale a forgée. Pourtant, il a peur comme un enfant. Peur d’être oublié dans une fête foraine. »
La perspective d’une séparation lui est donc apparue comme une dépossession intolérable. « Ne vous méprenez pas, mesdames et messieurs les jurés, ceci est un crime de propriétaire. Cet homme estimait que sa femme lui appartenait, qu’elle était son bien, il la considérait comme sa chose. La mise à mort était pour lui la certitude de l’empêcher de reprendre sa liberté. »
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« Cette main courante reste très vague. Votre mère évoque des coups, mais sans entrer dans les détails. »
Ainsi, c’est notre mère qui était coupable. Coupable de ne pas avoir été assez explicite, de ne pas avoir été couverte de bleus ou de plaies. Le gendarme, quant à lui, ne pouvait pas être coupable de ne pas l’avoir entendue, ni d’avoir retranscrit ses propos de façon liminaire, ni d’avoir manqué de la plus élémentaire psychologie.
« De toute façon, il est très difficile d’évaluer le danger, a balayé Verdier. D’autant que nos hommes – et croyez que je le déplore – ne sont guère formés à ce genre de… situation, vous ne l’ignorez pas. »
Devant nos visages stupéfaits, défaits et notre colère rentrée, il a jugé utile de dégainer ce qu’il estimait être l’argument massue : « La police, comme la gendarmerie, manquent de moyens, je ne vous apprends rien. J’ai des effectifs insuffisants, moi. Je me bats pourtant mais, qu’est-ce que vous voulez, on n’est pas une banlieue à risques, nous. Du coup, on ne peut pas tout traiter, malheureusement. Et surtout tout traiter correctement. Il y a forcément des choses à côté desquelles on passe. »
Le cri d’alarme de ma mère était donc une de ces choses à côté desquelles on passe. J’ai dit : « Une femme battue, c’est moins important qu’un chien perdu ou une voiture emboutie, c’est ça ? »
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« Votre père, bien que sa mise en examen et son incarcération ne fassent aucun doute, conserve tous ses droits de père. Même depuis sa cellule, il pourra continuer à prendre les décisions, notamment s’agissant de toi, Léa, car tu es mineure. Il aura la main sur ton orientation scolaire… ou sur tes opérations chirurgicales, par exemple, si tu es amenée à en subir, tes voyages. Il pourrait même exiger des visites au parloir. Tu devras dire si cette situation te convient ou si, à l’inverse, tu préfères qu’un autre que lui devienne ton responsable légal. Dans tous les cas, il faudra en parler avec lui rapidement. C’est pourquoi je vous encourage à vous rencontrer. Il peut être plus enclin à accepter vos requêtes aujourd’hui parce qu’il a beaucoup à se faire pardonner. Demain, ce sera peut-être une autre affaire. »
J’étais abasourdi. Certes, il s’agissait d’une question dont j’ignorais qu’elle puisse même être posée (une de plus) mais, si on la posait, le simple bon sens aurait commandé que mon père soit, presque automatiquement, déchu de ses droits. Comment pouvait-on imaginer qu’un mari violent doublé d’un meurtrier ne soit pas un père dangereux, ou au moins inapte ? Concevoir qu’un type qui allait passer des tas d’années derrière les barreaux puisse décider à distance du destin de sa progéniture comme une télécommande actionne, je ne sais pas moi, une porte de garage ? Comment la justice pouvait-elle tolérer, voire favoriser, ce genre d’anomalie, de monstruosité ? Notre père devait être mis hors d’état de nuire, de nous nuire, au moins tenu éloigné de nous. Et découvrir qu’il faudrait en passer par une négociation me donnait envie de vomir.
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« Je ne sais pas. En tout cas, ils n’ont rien dit, rien fait. »
Léa, sans le faire exprès et sans penser à mal, énonçait des réponses qui sonnaient comme des sentences. Elle voulait sans doute dire que s’ils n’avaient pas agi, c’est parce qu’ils étaient dans l’ignorance. Mais à la place, on entendait un reproche, une condamnation.
Et ces reproches n’auraient pas forcément été infondés. En effet, est-ce qu’on ne voit rien ou est-ce qu’on ne veut rien voir ? Est-ce qu’on n’est pas conscients ou est-ce qu’on s’arrange avec sa conscience ? Et quand elle vient nous titiller, notre conscience, est-ce qu’on ne se trouve pas des excuses ? « J’interprète… Je me fais des films… S’il y avait un problème, elle me le dirait… Je ne vais pas me mêler de leur intimité, je n’aimerais pas qu’ils se mêlent de la mienne… » Et quand, après coup, la vérité est dévoilée, cette vérité qui se trouvait sous nos yeux et qu’on n’a même pas aperçue, on peut encore se dire : « Ils cachaient bien leur jeu, enfin surtout lui, bien sûr… Il nous a manipulés… Et elle, de toute façon, elle a toujours répugné à se donner en spectacle… » On déniche même des formules définitives : « On ne pouvait pas imaginer l’inimaginable… »
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Un couple de touristes allemands dînaient non loin de notre table. Ils ignoraient tout du drame qui nous frappait. S’exclamaient parfois en mangeant. Je ne sais plus si leur insouciance nous a rassurés ou si, à l’inverse, elle nous a paru cruelle. La vie continuait, autour de nous. C’était formidable, c’était épouvantable.
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Écrivant cela, je ne voudrais pas que vous alliez croire que je lui ai cherché des excuses. Il n’en avait aucune. Aucune. Disons que j’ai cherché des explications. C’est parfois l’unique moyen à notre disposition pour ne pas étouffer.
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Il n’a pas cillé. J’ai compris que ça ne l’intéressait pas tellement, ça remontait à trop loin, ça n’apportait rien à son enquête. Sur le moment, je ne lui en ai pas tenu rigueur. Depuis, j’ai appris qu’il faut plonger dans les profondeurs pour comprendre ce qui se passe à la surface. J’ai compris aussi que l’invisible est plus parlant que le visible. Et que des bribes ne deviennent des indices que si on les relie à quelque chose d’autre, ou entre elles.
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Aussitôt après, je pense au hasard des rencontres, au destin qui lance ses dés. Si ce soir-là, elle n’était pas sortie… Si cette nuit-là, il en avait repéré une autre… C’est un exercice idiot. Mais comment s’en empêcher ?
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En écoutant Muriel raconter, je me suis rendu compte que presque tout ce qu’elle me disait m’était étranger. Pourtant, il n’y avait rien de confidentiel, de secret dans son récit. La réalité, c’est qu’on cherche rarement à savoir qui étaient nos parents avant qu’ils ne deviennent nos parents. On dispose d’informations, bien sûr. On connaît approximativement leur parcours, on sait ce que faisaient leurs propres parents puisqu’on les fréquente en général, on possède des repères, des balises, mais souvent on n’a pas cherché à en apprendre davantage, comme si ça ne nous regardait pas, comme si ça leur appartenait à eux seulement, ou comme si ça ne nous intéressait pas, le passé des autres c’est tellement ennuyeux quand soi-même on est dans l’âge tendre ou l’âge bête.
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