En effet, est-ce qu'on ne voit rien ou est-ce qu'on ne veut rien voir ? Est-ce qu'on n'est pas conscient ou est-ce qu'on s'arrange avec sa conscience ?
- Quelle différence ça peut faire ?
- C'est celle entre un assassin et un meurtrier.
Elle avait employé cette expression "avec ça" pour désigner les coups, la violence domestique, l'emprise du mari. Elle n'avait pas utilisé de mots précis. Façon de dire sans avouer.
J'ai appris qu'il faut plonger dans les profondeurs pour comprendre ce qui se passe à la surface. J'ai compris aussi que l'invisible est plus parlant que le visible. Et que les bribes ne deviennent des indices que si on les relie à quelque chose d'autre, ou entre elles.
Oui, c'était la même maison, mais dans celle-ci personne n'était mort, personne n'avait été tué. Je me suis dit : c'est comme la foudre, elle tombe sur un arbre et épargne celui juste à côté. C'est une question de fatalité ou de chance.
J'ai prononcé les mots à voix haute et en les détachant : mon père vient de tuer ma mère. C'est ça qui s'est imposé : prononcer les mots à voix haute, avec l'intention d'établir leur consistance, leur matérialité, de leur conférer un sens ; avec l'espoir irrationnel de mettre également leur teneur à distance, au moins un peu.
"Il n'a pas fait exprès ?"
Elle s'est contentée du strict minimum : "Si."
Un "si" calme, définitif.
Qui nous envoyait droit en enfer.
Sur le couvercle, nous avons découvert une plaque mentionnant son nom, son prénom, l'année de sa naissance, celle de sa mort. Comme si on pouvait résumer les gens à ça, deux mots, deux nombres. Comme si ça pouvait contenir les rires, les espoirs, les étreintes, les danses, les désillusions et les peurs.
La vie continuait, autour de nous. C'était formidable, c'était épouvantable.
Elle n'ose pas aller contre sa volonté. Parfois, nos trajectoires sont décidées par d'autres.