Le récit de la captivité d'
Ingrid Betancourt est à l'image du long cours d'eau qu'elle a alors suivi : sinueux, filandreux même, par moments. Souvent hostile, il est empreint d'une violence sous-jacente, jamais exprimée crûment, et présente, par endroits, une magnificence insoupçonnée, cachée derrière la plus piteuse des réalités. Sauvage et profond, il peut emporter ; lancinant et sans réel but, il peut aussi ennuyer et mener le lecteur dans des déambulations sans fin, à l'image de celles vécues par l'auteur qui n'avait que peu souvent conscience du lieu où elle se trouvait.
Car Ingrid Bettencourt a su rendre compte de l'Amazonie, de sa géographie chaotique, de sa faune, de sa flore, qui peuvent tout à la fois être enchanteresses et opaques, dont la dangerosité n'a d'égal que les quelques moments où elle se fait mystérieuse.
L'hypnotisme de la marche et de l'errance, son irrégularité, son caractère parfois épique, draine avec lui des hommes et des femmes que seul un effroyable concourt de circonstance a pu réunir. Et cette étrange communauté est à l'image de toute communauté humaine, avec ses codes et ses règles souvent tacites, sa galerie de personnalités qui s'entrechoquent, ses mouvements d'humeur ou d'humour…
Le courage dans l'adversité, la solidarité dans l'adversité ne sont, d'ailleurs, jamais ce que l'on pourrait en attendre. Et bien quoi, que pensions-nous, voutés dans notre confort quotidien ? Que l'homme muré et rudoyé quotidiennement saurait être meilleur que le commun des mortels ?
Ingrid Betancourt sait bien que ce n'est pas le cas et que l'admirable capacité humaine à s'adapter à son environnement présente elle aussi son lot de bassesses et de coups bas. Et si l'on peut douter, par moments, de l'honnêteté intellectuelle de l'auteur, qui semble éternellement se victimiser comme le ferait un enfant, on ne peut que reconnaître le constat qui se dégage de son récit : l'homme n'est pas meilleur, ni en captivité, ni dans le malheur et, partout où une communauté humaine se formera, il faudra s'attendre à y trouver et le bien et le mal. Rousseau l'avait compris bien avant elle, bien avant nous, et les occupants des camps d'extermination l'auront vécu de l'intérieur bien avant que je ne lise ses lignes : un goût amer d'Acide Sulfurique se délie peu à peu dans mon esprit à mesure que la lecture de ce titre s'évanouit. Tout être humain présente son côté obscur, qui ne demande qu'à s'exprimer lorsque l'environnement extérieur le lui permet ; tout être humain, si détestable soit-il, présente lui aussi sa part d'extrême bonté qui s'exprimera si l'environnement le lui permet aussi.
A méditer…