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Critique de Korylle


L'écrivain et journaliste Ambrose Bierce est un personnage hors du commun sur bien des points, et sa vie mouvementée est encore bien moins légendaire que sa mort, dont la date est inconnue mais qui est sans doute survenue au cours de l'année 1910.
L'ouvrage de référence de l'écrivain est "Le Dictionnaire du Diable", un ouvrage satyrique bourré de définitions allant de l'hilarante à la dramatique, en passant bien souvent par les voies de l'humour noir. Citons par exemple la définition du mot Singe : "Animal arboricole qui se sent également très à l'aise dans les arbres généalogiques." Ou encore celle du Chanvre : "Plante dont les fibres produisent un article d'encolure qui est fréquemment ajusté après proclamation publique en plein air, et qui prévient le sujet des risque ultérieurs de rhume." Mais aussi, bien entendu, celle de l'adjectif Opiacé : "Qui déverrouille la porte de la geôle de l'identité. Elle donne sur la cour de la prison."
Bien entendu, les travaux littéraires de Bierce ne se limitent pas à ce seul ouvrage. Entre autres livres, il a écrit plus de cent nouvelles, recueillies ou pas, dont la lecture nous montre aujourd'hui quel fin auteur il a été. Il en est de même dans le domaine de la presse ou l'écriture de certains articles satyriques, notamment pour le "News-Letter & California Advertiser" de San Francisco, dont il deviendra rédacteur en chef en 1868, a provoqué, dans le milieu comme en périphérie, la controverse la plus totale. Mais plus c'était amer, éléctrique ou orageux, plus l'homme qu'il était se sentait l'âme nourrie par la réussite de son seul but dans la vie, à plus grande échelle : générer le chaos. Non pas un désordre gratuit, bien au contraire, mais le souffle d'une énergie incontrôlable, obligeant la masse à se réveiller et à réagir. A cette époque, cela fonctionnait encore bien mais, si Bierce était né à notre époque, il se serait sans doute donné la mort face à l'ampleur de la tâche.
Homme fougueux et débordant d'énergie créatrice, le genre d'individu que René le Senne, le caractérologue, aurait classé parmi les Passionnés, il n'hésite pas, quand c'est selon lui nécessaire, d'entrer en duel ou au combat, que ce soit de sa plume virulente ou de son propre corps. Adulte et mature, son arme favorite était un exemplaire replié du journal, le San Francisco Examiner, avec lequel il lui est souvent arrivé de se battre en pleine rue, mettant parfois une raclée mémorable à plusieurs hommes à la fois. Il faut dire, à ce propos, qu'il a fréquenté très jeune une école militaire et, alors qu'il n'était âgé que de 19 ans, il s'est engagé dans le neuvième régiment de volontaires d'Indiana quand la guerre de Sécession a éclaté. Il sera promu officier grâce à son dévouement au combat dans le camp des nordistes. Blessé à la tête durant la bataille de Kennesaw Mountain, il doit quitter les champs de batailles et rencontrer la Fée Morphine qu'il saura apprivoiser, contrairement à la majeure partie des personnes dans son cas qui devinrent rapidement dépendants.
En effet, durant sa vie, et surtout à son époque, la consommation de drogues diverses touchait très facilement le milieu artistique dans son ensemble, et Ambrose Bierce ne fit pas exception. Mais l'écrivain savait user des substances sans en abuser. Il est parvenu toute sa vie à jouir de l'ivresse des paradis artificiels sans pour autant s'y installer définitivement.
Outre sa bibliographie riche et exceptionnelle, si l'on peut aujourd'hui retenir quelque chose de la vie de cet homme, c'est la façon dont il a décidé de mourir. On suppose qu'il se savait atteint d'une maladie à l'issue fatale et que c'est la raison qui le poussa, à l'âge de 71 ans, à mettre sa mort à profit plutôt que de mourir dans un lit. Il rejoignit l'armée révolutionnaire de Pancho Villa et disparut, à une date inconnue, en se battant aux côtés des paysans et des desperados mexicains.
Il n'a jamais été revu, pas plus que sa dépouille retrouvée.
Cette mort, aussi noble qu'héroïque, a fait travailler les imaginations d'autres artistes. L'écrivain panaméen Carlos Fuentes (1928-2012) a écrit un roman, intitulé "Le vieux Gringo" (1985), inspiré de la fin de la vie de Bierce, où il imagine ce qu'il a pu advenir ; une belle histoire sur le point final héroïque de l'auteur âgé, lancé dans les combats furieux de la Guérilla mexicaine.

Ghislain GILBERTI
"Le Cabaret du Néant"
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