Carcello est venu me voir hier. C'est un copain. Un vieux con. Un peu moins vieux que moi mais presque aussi con. Il a des idées sur cette mort. Il pense que la race a changé… Il prétend qu’il y a quelques siècles les enfants dans les rues tapaient du pied dans des objets : des boîtes, des fruits, des chiffons… D’autres choses sont venues, et ce plaisir a disparu. Peut-être… Mais il y a autre chose… C’est de cela que m’a parlé Delta Work 3. Ils veulent que je participe à leur mensuel. Ils en sont au troisième numéro. C’est une émission nécro, programmée à 18 heures. Ils ont déjà réalisés « Ciné-Mort », « Music-Mort ». Ils veulent faire « Foot-Mort ». 80 minutes pour expliquer comment et pourquoi des phénomènes de masse disparaissent : le cinéma, la musique, le football. Ils m’ont demandé de choisir les doucement, de proposer des explications… C’est ce que je disais au début : ils m’ont choisi parce que je suis vieux ; le dernier reporter vivant.
Le public a disparu.Il ne reviendra jamais.A partir de ce jour,toutes les rencontres de Football Association se dérouleront en dehors de toute présence physique de spectateurs.
Donc, Delta Work 3 m’a appelé. Ils ont eu du mal à me retrouver ici, je les comprends. Cela fait vingt-trois ans et sept mois que j’ai posé écouteurs et micro à la fin d’un match de coupe A. Les meilleurs en théories. L’indice d’écoute avait été de 0,3. Plus faibles que les reprises de films muets programmés entre 3 et 5 heures par Old Movies Network. Il n’y a plus jamais eu de rencontres après ce jour-là. J’avais une certaine chance, je quittais le métier au moment précis où je n’aurais pu l’exercer plus longtemps. C’était en décembre, le 12. Le jour où le football a disparu.