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Citations sur Le portail (27)

J'avais connu à Srah Srang un de ces paysans fiers, libres comme l'oiseau, toujours par monts et par vaux, aimé et respecté - il était réputé pour ses dons de chanteur arak (sa voix arrivait mieux qu'aucune autre à faire entrer les génies du sol dans le corps d'un médium) -, qui s'était un jour distingué par l'une de ces funestes réactions.
Un groupe de cinq hommes, vêtus d'un costume noir et portant le krama autour du cou - seul le plus âgé était armé d'un revolver -, avait fait son apparition et s'était rendu dans la sala contruite à la sortie du village, sur l'ancienne digue du baray oriental, face au temple du Prè Rup qu'on voyait de loin. Ils s'y étaient installés pour quelques heures, indifférents au toit de chaume détérioré par les pluies et défoncé par l'accumulation des gousss du vieux tamarinier qui le surplombait. Personne n'avait encore vu de Khmers rouges, et la nouvelle de leur arrivée s'était vite répandue. Ils offraient des cigarettes aux gens qui passaient devant eux et qu'ils appelaient "camarades". Après ce premier contact, ils étaient revenus quelques jours plus tard et les habitants, inquiets, leur avaient apporté du thé et du bétel, leur proposant même de quoi manger; ce qu'ils avaient refusé. Utitlisant l'entremise d'un marginal du village, un homme mal inséré, aigri et avide de changement, qui avait trouvé avantage à leur parler dès le premier jour, ils firent savoir que tous les chefs de famille étaient tenus de se présenter et d'entendre ce qu'ils avaient à dire. Une vingtaine de personnes, presque seulement des femmes, étaient venues, conduites par le chef du village. Le discours, truffé de néologismes incompréhensibles, avait commencé sur des poncifs idéologiques, pour aboutir à une demande d'aide que chaque famille devait fournir à la Révolution. Le village devait remettre un certain nombre de sacs de riz, avec autant de charrettes et de zébus qu'il en fallait pour le transport. Les attelages seraient rendus. Dans la semaine, et après bien des discussions, le tribut avait été collecté, et le chargement emporté par les Khmers rouges, de nuit, Mais les charrettes avec leurs boeufs restèrent sur place, à l'endroit où, ils avaient été abandonnés, près de Phnom Bok, à trente kilomètres. Les paysans partirent en groupe les récupérer, et notre chanteur retrouvé la sienne cassée. Furieux, il jura qu'on ne l'y reprendrait plus et que le Révolution devrait désormais se passer de lui!
Quinze jours plus tard, un message portant son nom arriva au village. Il se rendit à la convocation et ne revient jamais...
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J'avais horreur de communiquer en français avec des Khmers: les phrases me semblaient plates, vides de sens, parce que ce ne sont pas seulement les mots qui diffèrent d'une langue à l'autre, ce sont aussi les idées qu'ils traduisent, les façons de penser et de dire. Je ne pouvais rendre dans ma langue ce que j'avais à expliquer à mon bourreau. Les liens qui étaient en train de s'établir entre nous dépendaient totalement de notre capacité à nous comprendre, sur une terrain commun; et ça ne pouvait se faire que dans sa langue.
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Commandement no 6 : Il est strictement interdit de crier pendant qu'on reçoit des coups ou des décharges de fil électrique ?
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Les habitants les regardaient, perplexes, et parlaient avec eux. Ils découvraient des enfants, équipés d'un matériel si rudimentaire que les soldats de Lon Nol, très entraînés, suréquipés, et qui avaient reçu l'ordre de se rendre, en riaient et pleuraient tout à la fois.
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De mes souvenirs surgit aujourd'hui l'image d'un portail. Il m'apparaît, et je vois l'articulation dérisoire qui fut dans ma vie à la fois un début et une fin.
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Comment accepter que certains décident eux-même leur salut en imposant le sacrifice d'autrui ?
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Quand va-t-on cesser de faire mourir les hommes au nom de l'homme ?
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En même temps, bien que la disparition de mon père ait laissé en moi une fureur inextinguible, elle me rappelle un tel amour que je trouve aussi du bonheur à y penser souvent.
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Je repris ma course et passai, après le Phnom, devant le grand immeuble ocre de la Banque nationale du Cambodge. Des dizaines de milliers de coupures de cinq cents riels jonchaient la chaussée et les trottoirs, encombrés de sacs de sable et de fils barbelés. Ce qui représentait, hier encore, une immense fortune, s'envolait devant moi, billets éphémères qui, en quelques heures, avaient perdu toute leur valeur. J'en venais maintenant à regarder ce monde détruit, ces avenues à l'abandon, comme un spectacle, et à en rire.
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Douch ne faisait qu'exécuter les décisions de l'Angkar. Le condamné était emmené en forêt, sans avoir jamais eu connaissance du jugement. Si d'instinct il flairait le péril imminent, la consigne était de lui répondre par des mots d'apaisement. Le lieu d'exécution n'était pas très éloigné, mais on n'entendait jamais rien: Thép affirmait que l'arme était un bêchoir ou un gros bâton.
C'était un principe général de cacher la vérité mais, plus que de mensonge, il s'agissait ici d'un objectif moral; éviter le plus longtemps possible le spectacle affligeant de la panique. Les bourreaux mettaient leur point d'honneur à repousser au maximum le moment de honte où le condamné, pris d'un irrésistible affolement, se laisse aller à des sanglots pitoyables, à des spasmes pathétiques. Ils niaient l'évidence même lorsqu'ils faisaient creuser sa fosse au malheureux. Ils savaient aussi que, passé ces instants terribles, le sujet, pendant les secondes qui précèdent le choc fatal, se fige docilement. Dans les exécutions collectives, quand les prisonniers, côte à côte, attendent leur tour à genoux, déjà tout est joué. Le corps s'amollit, le cerveau se brouille, l'ouïe se perd. Les ordres sont alors criés; il ne s'agit plus que de consignes pratiques:
- Restez immobiles! Penchez la tête! Il est interdit de rentrer la nuque dans les épaules.
Les Khmers rouges connaissaient instinctivement cette loi du fond des âges et l'utilisaient sans chercher à comprendre: l'homme s'occit plus facilement que l'animal. Est-ce un effet tragique de son tragiquement de son développement intellectuel? Combien de crimes auraient tourné court s'il avait pu mordre jusqu'au bout comme le chat ou le cochon!
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