Lotto Girl

- Tu es tellement lent....
Un jour, je lui ai pris son portable et j'ai répondu aux questions à sa place, sans avoir besoin de réfléchir.
- Et ? a-t-il rétorqué en me considérant avec mépris.
Je l'ai foudroyé du regard, les bras croisés.
- Comment ça, et ?
- Tu es unique, et alors ? Ce n'est pas comme si tu avais fait quoi que ce soit pour le mériter. C'était un tirage au sort. Un pur hasard. Ça ne te rend pas meilleure que moi.

On est tous liés et séparés, ordinaires et uniques, scintillants, changeants et si insaisissables...

J’ai bien retrouvé la tristesse, pas la joie. Il faut les deux, elles s’éclairent respectivement.

S’il m’arrive quelque chose, ces éléments seront condamnés à être enterrés dans la grande fosse commune des données, le dépotoir des espoirs et des rêves, des postures vaines, des peurs et des joies que les gens immortalisent chaque jour, fouillis impénétrable, dont chaque fil semble impossible à isoler.

La beauté était réelle à mes yeux, et je l’aimais pour ce qu’elle était, ni plus, ni moins. Je ne m’interrogeais jamais sur le fait que je vendais une chose à laquelle la plupart des gens n’avaient pas droit.

C'est un phénomène fréquent : les parents rêvent pour leur enfant de l'existence qu'ils ont désiré sans jamais l'atteindre.

- Ne perds surtout pas confiance, s'est-elle empressée de me dire. Tu n'as pas besoin de feindre le doute si tu ne l'éprouver pas. Tu es comme tu es.

Les parents fortunés qui paient pour concevoir un profil génétique de bout en bout peuvent prendre les options qu'ils souhaitent. Ils apprennent par coeur des catalogues qui promettent toutes sortes de merveilles, se persuadent de jouir d'une plus grande liberté. Naturellement, ils arrêtent leurs choix sur l'intelligence, la beauté et la santé, mais si leur fortune le leur permet, pourquoi ne pas s'amuser un peu au passage ? Pourquoi ne pas ajouter une option dont ils pourront se vanter auprès de leurs amis, quelque chose d'inédit et de fantasque ?

Il m'a fait faire, avec fierté, le tour des serres contenant des fruits et des légumes. Il y avait des tomates cerises, de belles aubergines bien brillantes, des miniconcombres à la peau irrégulière et des laitues d'un vert translucide, ainsi que des arbres fruitiers cultivés en espaliers, le long des murs - pruniers, abricotiers, pêchers et poiriers. Sans oublier les haricots grimpants, les pois gourmands croquants et les pots profonds regorgeant de pommes de terre.
Il y avait aussi une serre de fleurs, belle cohue colorée, où les pétales soyeux se superposaient, où les feuilles et les lianes s'enchevêtraient. Et, derrière, les abeilles.
J'avais l'impression d'être plongée dans le flux vidéo d'un enfant. Tout ce qu'il y avait de bien dans ce monde était aggloméré dans ce petit espace réduit.

Certaines nuits, allongée dans mon lit, je m'imagine être à ReCorp et entendre la pluie. Ou alors je me balance dans le hamac avec Chimo, sous la lourde couverture que faisait l'air nocturne, figé. Je voudrais le serrer, mais mes bras ne rencontrent que le vide, un vide qui creuse un trou dans ma poitrine. D'autres fois, je revois Halston et, dans le noir, je cherche à deviner le lit de Lark, de l'autre côté de la pièce, à l'entendre respirer discrètement, en vain. Souvent, je me lève pour descendre m'asseoir dans la cour, je contemple le ciel parfait.