Il existe une pierre gravée antique où l’on voit Prométhée modelant un squelette. Dans une autre pierre, le sculpteur est représenté mesurant sa statue, et, dans une autre encore, pesant les membres du corps humain. Ce sont là des témoignages irrécusables du profond respect des anciens pour les proportions et de la connaissance qu’ils en avaient. Avant de ravir le feu du ciel, Prométhée songeait à établir la charpente osseuse de l’homme, à mesurer tous ses membres, à les balancer selon les lois de la symétrie et de l’équilibre.
(ch. VII. DES PROPORTIONS DU CORPS HUMAIN.)
Maintenant, si nous montons au sommet de la création terrestre, nous voyons tout à coup apparaître la raison. Ce qui était animé est devenu intelligent, ce qui était symétrique est devenu beau. La plante était muette, l’animal avait une voix, un cri : l’homme seul a le langage et la mélodie. Le végétal était captif, la bête se mouvait dans le cercle fatal de ses instincts : l’homme seul est libre, et il est libre en vertu du principe même qui lui fait comprendre la nécessité. En lui la vie extérieure de l’animal est devenue collective : il communique non seulement avec ses contemporains, mais avec tous les êtres qui furent distribués dans l’étendue des âges ; il vit de la vie universelle de l’espèce, c’est-à-dire de la seule vie qui puisse développer l’être. « L’humanité, dit Pascal, est un homme qui vit toujours et qui apprend sans cesse »
L’écrivain ou l’orateur ont étudié chacune des expressions de la langue ; ils en connaissent la signification et la valeur, la couleur et le relief ; mais ces connaissances ne font ni un beau livre ni un beau discours, et si tous les mots sont dans le vocabulaire, l’éloquence est dans l’âme de l’orateur.
Pascal a dit : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on n’admire pas les originaux ! »
Soumise dès l’origine à la coloration des surfaces et des reliefs, elle adhère aux voûtes, aux murailles et aux saillies de l’ornementation. Tant que la religion est mythologique, la peinture est un art secondaire ; elle est subordonnée à la sculpture, comme celle-ci l’était dans le principe à l’architecture. Pourquoi ? parce que l’art statuaire, l’art dominant, voulant diviniser l’homme, l’a isolé de la nature, l’a représenté nu, en écartant de son image toutes les circonstances passagères de la vie terrestre et du monde environnant, et qu’ainsi il a pu, il a dû se passer de la couleur, puisque l’homme nu est un être presque monochrome, c’est-à-dire d’un seul ton. Il est donc clair que, sous l’empire de la religion mythologique qui donnait à toute chose la forme humaine, qui sous cette forme se figurait non seulement Dieu, mais la nature entière, les fleuves, les montagnes, les prairies, les champs et les bois, la peinture devait jouer un rôle secondaire, puisqu’elle n’avait pas à représenter toute cette création antérieure à l’homme, dont la vraie parure est dans l’écrin des couleurs. Là où le printemps et les fleurs n’étaient qu’une jeune fille qui s’appelait Chloris, là où la prairie n’était qu’une nymphe étendue, et où l’écorce du laurier-rose ne cachait qu’à demi le corps de Daphné, comment le peintre aurait-il pu faire autre chose qu’un bas-relief de figures humaines, varié de simples nuances ?
L'oeuvre d'art est donc une création, puisqu'en pénétrant l'esprit des choses à travers les apparences, l'artiste produit des êtres conformes à l'idée créatrice, à l'idées vivante qui réside en lui.
Tous les germes de beauté sont dans la nature, mais il n'appartient qu'à l'esprit de l'homme de les en dégager. Quand la nature est belle, le peintre sait qu'elle est belle, mais la nature n'en sait rien.
Par un prodige inconcevable et dont le pareil ne se trouve que dans l’architecture, la musique, comme dit Rousseau, peut représenter ce qu’il est impossible d’entendre : elle peint avec des sons la paix du sommeil, le calme de la nuit, le désert ; par le mouvement elle fait naître l’idée de repos, et par le bruit elle exprime le silence !..
Le dessin est le sexe masculin de l’art ; la couleur en est le sexe féminin.
(c'est un Académicien qui le dit, peut-être la théorie du genre déjà...)
Ainsi l'art imite, ou bien il interprète, ou bien il idéalise, il transfigure. Mais entre ces deux extrêmes, l'imitation pure et l'idéal, il y a double péril à éviter : car, en imitant la nature de trop près, l'artiste court le danger de reproduire les pauvretés, et en s'éloignant trop de la nature, il peut perdre de vue les accents de la vie.