Cranach, protestant, n'était pas resté catholique dans sa peinture, comme Albert Durer, l'artiste religieux et romantique à la fois, qui n'appartient nullement à la Réforme. Voué, il est vrai, ardemment aux idées nouvelles, celui-ci était resté presque orthodoxe comme artiste, et n'a prêté ni son pinceau, ni son burin, à la guerre faite au pape et aux couvents. Le chef de l'École franconienne, né un an avant Cranach, en 1471, et qui avait voyagé en Italie, s'est trouvé durant sa vie dans un milieu tout différent de celui où vécut le maître de Wittemberg. Peintre de l'empereur, en relations, même pendant son voyage en Belgique et en Hollande, avec autant d'adhérents de l'Eglise romaine que du protestantisme, il est resté plus éloigné de cette trempe imployable que les caractères contractent souvent dans un entourage sans mélange, où tout penche d'un seul et même côté. Si ces deux grands maîtres se ressemblent pour l'honnêteté et d'autres qualités morales, ils sont donc restés très différents l'un de l'autre, comme artistes, et cela autant pour la conception que pour l'exécution.
Quand Dürer sait ennoblir et élever jusqu'à l'épopée la trivialité des sujets locaux, Cranach, au contraire, a soin de ne rien poétiser, de n'oublier aucune laideur, mais aussi aucun charme de la chair nue, et souvent même d'enlaidir et de rapetisser encore la petitesse de la vie mesquine de tous les jours. Pour la conception de la beauté de la femme, cependant, Lucas l'emporte sur le grand Dürer, à qui cette beauté échappe souvent et dont les saintes vierges mêmes offrent des figures grêles et une constitution chétive qui restent loin de l'idéal chrétien des Écoles colonaise et souabe. Les vierges, comme les autres femmes de Cranach, sont belles, gracieuses, pleines de vie et de santé, exemptes cependant de l'exubérance de chairs à la Rubens ; — elles ont quelques rapports avec les femmes des tableaux italiens.
L'école allemande a eu, avant sa décadence, amenée par les calamités des guerres de religion, quatre époques principales où son influence a produit un changement plus ou moins profond dans la conception artistique de l'Europe.