Quand le comédien Lorànt Deutsch publie en 2009 son ouvrage "Métronome", son rapide succès surprend.
Les gens n’achètent pas des produits, mais les histoires que ces produits représentent.
Deutsch reprend à son compte une pratique courante des milieux royalistes qui cherchent à rendre la monarchie désirable en la parant de toutes les vertus et en la faisant apparaître comme un âge d’or.
Il s’agit de disqualifier la Commune en tant que mouvement démocratique, populaire et essentiellement parisien, et de faire oublier que les Versaillais bénéficiaient de la passivité complice des Prussiens.
Nicolas Sarkozy a été un farouche défenseur d’une ipséité intégrationniste où l’adhésion à des caractéristiques culturelles et à une histoire héroïque empreinte de fierté nationale fait office de certificat de nationalité, une sorte de naturalisation “réelle“ opposée à la “légale“ que garantit la loi. Conséquence immédiate : fustiger ceux qui se refuseraient à cet effort d’assimilation, présentés comme autant de communautarismes qui détesteraient la France.
Pour les historiens de garde, la menace d’une histoire ouverte au monde et qui oublierait les racines de la France (monarchie et catholicisme), c’est le risque du “communautarisme“.
On peut parler d’une histoire identitaire.
C'est sans doute là que se situe la différence majeure entre «les historiens de garde» et les tenants de toute forme de roman national et nous [les historiens "scientifiques"]. Nous fouillons le passé pour partir à la rencontre d'un Autre et tenter de le comprendre. Eux tente de tordre le passé pour justifier leurs choix et leurs obsessions d'aujourd'hui. Loin d'apercevoir une altérité dans le passé, ils ne partent qu'à la recherche de leur propre reflet égocentrique.
Cette mise à distance de soi qui définit, bien plus qu'aucun titre universitaire, la pratique historienne, ne fait pas de ceux qui en font leur métier et leur passion des surhommes. Quiconque a fait des recherches historiques sait pertinemment à quel point nos recherches restent imparfaites. On ne peut reconstituer exactement le passé, notamment celui des sociétés où les sources sont rares, malgré l'apport précieux de l'archéologie. C'est encore plus vrai pour les catégories sociales les plus modestes qui, jusqu'à une date récente, ont laissé peu de traces. Et si nous pouvons parfois avancer quelques certitudes, celles-ci pèsent toujours bien peu face à la masse de notre ignorance.
Cet état de fait enseigne au pratiquant de l'histoire - car oui, l'histoire est avant tout une pratique qui ne nécessite en rien des grades académiques - la modestie et à considérer que le récit du passé n'est jamais clos. C'est pour cela que les affirmations péremptoires des «historiens de garde» qui prétendent en trois lignes analyser des phénomènes historiques complexes nous font réagir.
[Extrait de la postface à l'édition de 2016]
L'histoire est un combat, ne serait-ce que parce qu'elle est attaquée par un double phénomène qui relève à la fois d'un repli sur le roman national à des fins identitaires et par des stratégies marketing dont le but n'est ni plus ni moins que de transformer des citoyens libres en consommateurs d'images d’Épinal. Il ne s'agit plus d'aiguiser l'esprit critique, de susciter des découvertes puis des analyses, mais de vendre une forme de bien-être nostalgique.
Au-delà de l'aspect idéologique, le roman national est aussi un business, que ces historiens de garde exploitent avec beaucoup de cynisme, et un populisme à peine masqué, en déclinant leurs travaux sur tous les supports possibles et imaginables.