Non qu'il ait regretté longtemps la terre. La mer était une planète en elle-même. Comme Conrad, Loti parcourut les sept mers et écrivit sur sa vie de marin. Tout ce qu'il avait vu, connu, craint et aimé dans cette vie monte de ses pages avec une telle force que le lecteur a l'impression de goûter les embruns salés, d'être soulevé avec lui sur la houle, d'entendre les grands mâts et les cordages lutter avec les vagues qui les assaillent. Loti a le pouvoir d'impliquer physiquement ses lecteurs, aussi bien que sur le plan émotionnel. Avec lui, nous sentons véritablement le grand cercle bleu autour de nous, nous voyons "ce miroir illimité".
Durant toute sa vie, les choses seraient une barrière entre lui et le néant qui s'étendait devant lui, qui l'attendait, et peu à peu cet attachement obsessionnel pour les objets atteignit les proportions d'un fétichisme. Tous ces objets jalousement conservés, de peu de valeur en général, sauf par leurs associations, finirent par être investis d'une vie — voire d'une âme. Pour lui, ils étaient vivants et lui parlaient d'un passé qu'ils avaient connu ensemble. Chacun avait sa place dans son souvenir ; c'était, en fait, un mémorial de ce passé qu'il chérissait, et chacun nourrissait la nostalgie qui allait devenir pour lui une drogue.