Une odeur de tabac et de savon à cuir monta au nez de Jade. Et quand l'étranger se glissa entre eux, la fourrure de sa manche en léopard des neiges caressa le dos de sa main. Un frisson lui parcourut la nuque. Ils étaient là tout près : le lointain et le danger.
Quelques heures après, alors qu'elle passait devant l'ascenseur au premier étages, elle se sentit soudain enlacée par ses bras et s'abandonna à ce baiser volé.
-Qu'est-ce qui te lie à ce type du bateau qui t'a touchée? lui demanda Faune d'un ton glacial.
-Ce n'est pas un "type", mais mon meilleur ami. Et il ne m'a pas "touché".
Les yeux de Faune luisaient d'une lumière froide; son étreinte lui coupa presque le souffle.
- Ce n'est pas l'impression qu'il m'a donnée.
- Tu ne serais pas jaloux ?
- Furieusement, répondit-il avec une franchise ardente.
Elle ne pouvait percevoir que la silhouette de Faune... Irréelle, comme dans un rêve. Elle était certaine qu'il l'a fixait dans l'obscurité.La simple pensé que le montre rôdait encore autour du Larimar lui fit presque perdre la raison, mais autre chose se mêlait à cette angoisse : le désir que Faune la garde toujours dans ses bras.
- Jade, chuchota-il.
Et, soudain, il l'attira à lui et referma fort ses bras sur elle comme s'il ne voulait plus jamais la lâcher.
- Peut être, dit-elle. Je ne sais pas. Peut être nous connaissions-nous depuis trop longtemps.
- Peut être, peut être ! Est-ce tout ce que tu peux me dire à ce sujet ?
- Que veux-tu donc encore entendre ? lâcha-t-elle. Que j'avais parfois l'impression d'embrasser mon frère ? Que c'était bien de dormir avec toi, mais que ce désir ne m'a jamais poursuivie dans mes rêves ? Que je n'ai jamais eu l'impression de brûler de fièvre en te revoyant ? Je t'ai aimé, Martyn, de cette autre manière, et je suis désolée de t'avoir blessé. Et je t'aime toujours de cette autre manière et ne cesserai jamais, que tu me le pardonnes ou non.
- Le monde ne s'effondre pas, répliqua la cuisinière, impassible. Il tremble et vacille, mais il n'en sera que plus solide après.
- Parfois, on n'a comme seule liberté que le choix entre deux tyrans. Et j'ai fait mon choix.
Elle se sentait attirée vers lui comme vers une douleur que l'on craint tout en la recherchant.
- Et tu le défends ?
- Qui est le coupable ? Celui qui presse sur la gâchette ou l'arme elle-même ?
- C'est fini, dit-elle doucement. Je l'ai embrassé, oui, et plus que ça. Je l'ai aimé. Mais c'est fini.
Le chagrin s'abattit sur elle, un goût amer de défaite dans la bouche, avec en plus une pierre brûlante dans la gorge qui l'empêchait presque de respirer.
Martyn soupira.
- Bon ! remarqua-t-il. Maintenant, au moins, tu sais ce que l'on ressent.
Tu dis qu'il n'y a rien de pire que la mort, Laurine, mais ce n'est pas vrai. L'amour est le poison le plus violent de tous.