Lire, dans des traductions, « les Métamorphoses » d’Ovide, « l’Énéide » de Virgile, « les Annales » de Tacite, est hautement enrichissant, mais rien n’égale pour bien s’imprégner de leur pensée, le commerce des auteurs anciens dans leur propre langue. C’est pourquoi l’abandon du latin vers lequel on semble s’orienter, me paraît très regrettable. C’est oublier que le latin est avec la romanité à la source de notre culture. C’est méconnaître qu’il un instrument incomparable pour une meilleure possession de notre langue maternelle. Par la connaissance des rapports entre les mots français et leurs ancêtres latins, il nous donne plus d’assurance pour le maniement de notre langue et nous apprend à employer le
terme approprié en lui gardant sa valeur étymologique. Les leçons de grammaire m’intéressaient beaucoup, je ne redoutais pas les exercices d’analyse, je les réussissais presque toujours. Ces dispositions m’auraient bien servi dans l’étude du latin. J’en veux pour preuve nos enfants qui, grâce à cette aptitude à bien saisir les nuances de la construction de la phrase française, se sont révélés de bons latinistes.
Je n’ai pas oublié ma « première rentrée ». Ma
mère m’avait accompagné, comme il se doit ; elle me tenait la main pour me donner sa confiance. Qu’elle est douce, qu’elle est réconfortante la chaleur de la main d’une mère !
Où que nous conduisent les chemins, on retrouve presque toujours un ami et l’écho d’une chanson.
Tous ceux qui ont fait des études connaissent les livres d’histoire de la collection Malet, Isaac et Béjean. Béjean aurait voulu
préparer quelques-uns d’entre nous à une quatrième année d’études, afin d’affronter le concours d’entrée à l’École Normal Supérieure de Saint Cloud.
J’en étais. Il nous donna des travaux supplémentaires. Le directeur l’apprit et mit fin à ce projet. Il nous dit : « Vous êtes ici, pour devenir des instituteurs. »
Nos yeux étaient secs d’avoir tant pleuré. Il n’y avait que le bruit étouffé de nos pas dans le grand silence. Tout dans la nature autour de nous était immobile,
désolé, paralysé par un froid terrible. Mais ce froid, si dur qu’il fût, était moins intense que celui qui glaçait nos cœurs meurtris.
Ainsi s’éteignit la flamme qui n’avait brillé que pour nous.
Notre mère avait été toute sa vie notre refuge, notre protection contre nos peines, la source intarissable de nos joies.
Comme les mères de tous les pays ont pu souffrir pendant
cette guerre ! Combien, hélas ! tombèrent, épuisées, terrassées par l’angoisse avant d’être arrivées au terme de ce long calvaire.
Le bonheur qui nous avait fuis sembla ressusciter, mais c’était un bonheur fragile qui s’amenuisait au fil des heures. Ce fut un bonheur déchirant. Je voyais naître dans l’éclat fiévreux des yeux de ma mère une inquiétude qu’elle avait de la peine à dissimuler. Une année de guerre avait brisé son courage et ses forces déjà si compromises. Ce furent cependant des jours heureux. Les derniers qui lui apportèrent des joies.
On ne s’entretenait que de la guerre. On voulait encore
espérer que ce conflit recevrait une solution pacifique comme celle qui avait
réglé l’incident d’Agadir, trois ans plus tôt. On avait conscience que si un cataclysme se produisait, ce monde de la douceur de vivre s’effondrerait.
Autrefois tout le monde chantait : le charpentier en assemblant les chevrons, le couvreur en posant les tuiles ou les ardoises, le maçon en maniant sa truelle, le peintre en promenant son pinceau. Les passants au coin des rues ou sur les places fredonnaient les nouvelles chansons que leur apprenaient des artistes ambulants soutenus par un orchestre ou un accordéon.
Le dimanche, toute la maison chantait. Tous les airs entraînants, toutes les rengaines de cette époque, je les ai encore dans l’oreille comme les romances voluptueuses qui faisaient rêver à des femmes
merveilleusement belles, merveilleusement aimantes.
L’An fuit vers son
déclin comme un ruisseau qui passe,
Emportant du couchant les fuyantes clartés,
Et pareil à celui des oiseaux attristés,
Le vol des souvenirs s’alanguit dans l’espace…