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Critique de Bibalice


J'ai beau chercher dans les confins de ma mémoire, je ne sais où et quand j'ai lu, pour la première fois, le nom de Léon Bloy ( Que je lisais alors d'un flambloyant "Blo-y" et non de ce très plat "Blois"). Ce devait être dans un article de Nicolas Ungemuth dans R&F à l'occasion d'une comparaison littéraire bien généreuse ; ou bien était-ce dans les notes de bas de pages ou dans quelque avant-propos pompeux d'un ouvrage de Barbey d'Aurevilly.

Le bonheur est dans le crime.

Ah Barbey ! Je n'ai plus tout à fait lu les autres auteurs de la même façon après l'avoir lu, lui, l'écrivain chrétien, catholique même, que tout devait éloigner de moi. J'ai toujours eu un faible pour les auteurs dandys, cela est vrai, mais de Barbey je devais détester l'intégralité de son oeuvre. Trop catho, trop moraliste, trop royaliste… Il y avait trop de choses entre lui et moi qui auraient dû nous éloigner à jamais. La quatrième de couverture des Diaboliques (ou était-ce un recueil divers de ses textes ? ) a portant instantanément eu raison de mes réticences. Feuilleté rapidement dans une librairie de passage, le livre m'est en effet devenu indispensable et j'ai depuis installé l'auteur dans les plus hautes marches de mon panthéon personnel.

Barbey est l'auteur, entre autres fulgurances, d'un recueil de nouvelles intitulé Les diaboliques. Si vous n'avez pas lu ce chef-d'oeuvre absolu de noirceur et de grâce, imaginez-vous Les Fleurs du mal sous la forme de nouvelles. Chacun des textes de ce recueil qui en comporte six, est une exploration, vipère aux poings, des confins les plus noirs de l'âme humaine. Mais Barbey est un auteur chrétien et le revendique. S'il se plait à raconter ses histoires de vice et de vertu refoulée, tout dans ce livre n'est que célébration du Christ. Et c'est ce décalage sujet/traitement, ces fleurs du mal, qui fait toute la beauté du livre. Si Barbey, sans condamner forcément l'ensemble de ses personnages, propose une lecture chrétienne de ses macabres histoires, il les sublime aussi par son style et une certaine forme de célébration du crime : Barbey est en effet fasciné par le mal et cette fascination transpire à chaque page. La beauté et le mal, La beauté du mal, ces thèmes sont à la base de nombreux chefs-d'oeuvre de la littérature et de la poésie, mais peu les ont exploré avec une telle beauté du verbe que ces Diaboliques.

Un pamphlet chrétien.

Barbey donc. C'est « l'enfant terrible » et le premier auteur de ce « brelan d'excommuniés » dont il est question dans ce pamphlet de Bloy (faisons mine de rien et prononçons son nom comme il se doit). Aux côtés de Ernest Hello, « le Fou » et Paul Verlaine « le lépreux », il est de ces auteurs sublimes rejetés par leur époque et par l'Eglise même qui les considère comme des ennemis alors qu'eux-même se déclarent chrétiens. Ce pamphlet est ainsi l'occasion pour Léon Bloy de régler ses comptes autant avec sa médiocre époque qu'avec l'Eglise et son « exécration du beau ». Que les trois plus grands auteurs du XIXème soient censurés, condamnés, rejetés, humiliés et méprisés, cela rend l'Eglise à son tour misérable aux yeux de Léon Bloy : « Je l'ai dit autre part, avec force développement. Les catholiques modernes haïssent l'Art d'une haine sauvage, atroce, inexplicable. »

Etrange impression que de lire ces lignes de Bloy au XXIème siècle. Ma lecture de l'histoire de l'Eglise est celle d'un athée élevé à l'ombre mais trop à l'ombre des chapelles. de mes heures enfantines de catéchisme dominical aux bancs de l'Eglise où adolescent j'écoutais -mais n'entendais pas- les chants chrétiens, la religion catholique, ne m'a jamais parue être le garant de l'Art et de la Beauté et, fussent celles d'une église, ce pamphlet ne me semble enfoncer que des portes déjà ouvertes. Portes d'églises déjà ouvertes par Huysmans d'ailleurs, le maître proclamé de Bloy (mais nous y reviendrons plus tard).
Entendons-nous bien, nombre des grands chefs-d'oeuvre de l'Art en occident sont des oeuvres chrétiennes et il importe finalement assez peu que ces mêmes oeuvres soient avant tout des commandes. Mais il n'en demeure pas moins que, des gammes ou intervalles musicales interdits par l'Eglise (le fameux Diabolus in Musica qui fascina tant Paganini et dont la fréquente utilisation le priva de sépulture chrétienne) aux mises à l'index encore en vigueur au milieu des années 1960 (!), il ne me semble pas évident ou disons pas tous à fait naturel que Bloy en appelle à l'Eglise pour que celle-ci s'agenouille devant les artistes et qu'elle leur offre le même asile qu'elle a donné aux philistins portant leurs croix de bois, d'or ou de carton.

L'exercice est donc à la base assez vain pour un faux chrétien ou un chrétien athée comme moi. Bloy étant catholique, je lui trouve cependant une rage et un courage salutaires, exemplaires même, d'attaquer aussi violement une Eglise à laquelle il appartient en tant que fidèle. Bloy fait le bilan sévère d'une institution pour mieux révéler le génie de trois auteurs excommuniés et dévoiler une vision bien plus admirable de l'Eglise, c'est-à-dire une religion où l'art ne serait pas rejeté mais accepté en tant que tel et pas seulement en tant que vecteur des dogmes de l'Eglise : «Les catholiques s'effarouchent du Beau comme d'une tentation du péché, comme du péché même, et l'audace du génie les épouvante à l'égal d'une gesticulation de Lucifer ». Au vu des récents débats et évènements qui ont eu lieu en France autour de certaines pièces de théâtre et au vu de ce qui se passe ailleurs dans le monde depuis des siècles, cette constatation semble sinon consubstantielle à la religion, alors encore bien actuelle.


Un triple portrait de l'auteur.

Evidemment ce triple portrait est aussi un miroir de l'auteur. On pourrait à l'occasion prendre les noms de Barbey d'Aurevilly, Ernest Hello et Paul Verlaine cités dans le pamphlet et les remplacer par celui de Léon Bloy. Ce dernier souligne souvent des qualités à ces auteurs que nous pourrions tout à fait attribuer à Bloy. Peut-être faut-il lire ce pamphlet ainsi : au delà de la charge contre l'Eglise et d'une réhabilitation de trois auteurs sublimes (qui n'ont depuis plus tout à fait besoin de Bloy, Ernest Hello mis à part), il s'agit d'un manuel de lecture à destination des éventuels lecteurs de Bloy. Voilà où il se situe dans le champs littéraire. Au milieu de ce brelan d'excommuniés. Il est insuffisant de placer Bloy dans le sillage de Huysmans, il faut en fait le placer dans celui de Barbey d'Aurevilly, d'Ernest Hello et de Verlaine. Pas sûr cependant que L Histoire et les critiques littéraires le suivent dans ce raisonnement. Quand on cite aujourd'hui Bloy, c'est pour citer Huysmans trois lignes plus loin, comme je m'apprête d'ailleurs à le faire, pas pour le placer aux côtés de Verlaine qui a depuis fait sa route.

L'ombre de Huysmans

Le seul vrai et grand problème de ce recueil, c'est que près de 5 ans avant la sortie de cet ouvrage (1889), Huysmans avait déjà tout dit sur d'Aurevilly, Ernest Hello et Verlaine, et de plus éclatante manière. Je parle du roman ''A rebours'', que Bloy cite au détour d'une phrase. Bloy et Huysmans se disputent sur Ernest Hello qui lui subit les foudres de Des Esseintes, le personnage de Huysmans. Mais ce dernier s'agenouille également humblement devant Verlaine et Barbey d'Aurevilly. Les raisons d'un tel agenouillement sont les mêmes : la terrible médiocrité de l'époque et d'une Eglise désormais incapable de reconnaître le Beau. Une Eglise désormais embourgeoisée qui porte sur le Christ une vision détournée.

Pour conclure, je voudrais simplement conseiller ce livre à tous ceux que le rapport entre l'Art et l'Eglise intéresse. Il faut lire ce pamphlet avec les livres de Verlaine, de Barbey d'Aurevilly, d'Ernest Hello mais aussi de Huysmans sous la main, la lecture n'en sera que plus riche. Les lecteurs habituels de Bloy se rueront d'eux-même sur cet ouvrage. Il retrouveront l'intransigeance salutaire de Léon Bloy. La virulence finalement assez systématique et silencieuse de Léon Bloy me fait tout à coup penser à un passage de la nouvelle "Un dîner d'Athées" que l'on retrouve dans Les Diaboliques. Mettons la phrase au singulier, et nous voici avec un portrait assez vif de Léon Bloy par Barbey d'Aurevilly :

"Au Moyen Age, ils auraient fait des pastoureaux, des routiers, des capitaines d'aventure ; mais on ne choisit pas son temps ; mais, les pieds pris dans les rainures d'une civilisation qui a ses proportions géométriques et ses provisions impérieuses, force leur était de rester tranquilles, de ronger leur frein, d'écumer sur place, de manger et de boire leur sang, et d'en ravaler le dégoût ! Ils avaient bien la ressource des duels ; mais que sont quelques coups de sabre ou de pistolet, quand il leur eût fallu des hémorragies de sang versé, à noyer la terre, pour calmer l'apoplexie de leurs fureurs et de leurs ressentiments ? "
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