Comme chaque matin, il était obsédé par le désir de boire. Le premier petit verre lui nettoyait l'esprit et il retrouvait ses angoisses, intactes, insolubles, bien rangées dans sa tête comme des couteaux luisants.
Il referma la fenêtre d'un geste brusque. Puis il vint rôder dans la cuisine, cherchant à se persuader qu'il avait envie de manger. Mais quoi? Il passa en revue les boîtes de conserve qu'il avait rangées dans le placard. Lui aussi, il avait accumulé des provisions, tout en jugeant que c'était idiot, puisque la guerre serait courte, selon toute vraisemblance.
Il essuya ses yeux, parce qu'il voulait regarder, à tout prix.
Il y avait du sang, sur les cailloux, un sac à main noir, éventré. Le briquet d'or étincelait parmi les débris.
Flavières pleurait. Il ne lui venait même pas à l'idée de descendre jusqu'à elle pour lui porter secours. Elle était morte. Et il était mort avec elle.
Il était de ces gens qui haïssent le médiocre sans pouvoir s'élever jusqu'au talent. Beaucoup de petits dons... beaucoup de regrets !
"-Je voudrais ne jamais penser à rien. Pourquoi ne sommes-nous pas des bêtes?
-Voyons! Vous déraisonnez!
-Oh! Non... Elles ne sont pas à plaindre, les bêtes. Elles broutent, elles dorment, elles sont innocentes! Elles n'ont pas de passé, pas d'avenir.
-En voilà une philosophie!
-Je ne sais pas si c'est une philosophie mais je les envie."
[Madeleine] était froide, non pas égoïste, calculatrice... Froide en profondeur, indifférente, incapable de vouloir, de se passionner. Gévigne avait raison : dès qu'on cessait de la distraire, de la retenir au bord de la vie, elle s'enfonçait dans une sorte d'engourdissement qui n'était ni de la rêverie, ni de la tristesse mais plutôt un subtil changement d'état, comme si un peu de son âme se fût répandu hors d'elle et évaporé dans l'espace.