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Citations sur Le Monde d'Hannah (20)

Des nuages inoffensifs couraient après le soleil, le ciel restait d'un bleu presque violet. Par un temps pareil, on pouvait oublier cette histoire de France confondue pour un temps avec le projet maléfique d'un dictateur allemand, les matins gammés. Stop, se dit-elle, assez pour aujourd'hui. "Prenez garde à la tristesse, écrivait Flaubert, c'est un vice."
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Octobre arriva, avec l'entrée en septième d'Hannah. Elle lisait de plus en plus, fascinée par les histoires, les personnages. "La Petite Fadette" et "Ivanhoé" comptaient parmi ses romans préférés. Elle tentait de faire partager ses engouements à Suzon, qui répliquait : "Pas le temps, pas envie, pas besoin." Une vraie ligne Maginot antilivres.
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À l'époque, elle priait pour qu'on la croie chrétienne. Avec ses cheveux blonds et ses yeux clairs, c'était plausible. Elle avait honte de ce reniement, mais préférait la honte à la peur.
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Hannah connaissait cette fille. Depuis deux semaines, elles fréquentaient la même classe de huitième, à l'école de la rue Keller. Suzanne Dupuis, elle s'appelait. Mais tout le monde disait « Suzon », avec une nuance de respect et de crainte dans la voix, à cause de ses mains de catcheuse et de sa voix de stentor. Suzon n'hésitait pas à donner du poing quand une élève faisait son intéressante ou se moquait de sa prétendue odeur de rousse. À dix ans, elle avait déjà redoublé. La maîtresse la traitait de tête brûlée, de bonne à rien. Ce dont elle se fichait éperdument.
Hannah reprit sa marche en sautant à cloche-pied, malgré le poids de son cartable. « Bizarre quand même de me répondre comme ça... », se dit-elle. Mais pourquoi une fille telle que Suzon s'intéresserait-elle à une gamine de neuf ans incroyablement timide ?
Hannah tourna au coin de la rue Popincourt, sa rue. À la vue de ses cheveux d'un blond presque blanc, Odette, la crémière à la poitrine imposante, la salua d'un ton jovial derrière son étal :
« Mademoiselle Behar, comment vas-tu aujourd'hui ? »
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« Je crois que ceci t'appartient », osa Hannah, à bout de souffle, à la traîne d'une chevelure rousse qui filait dans la rue de la Roquette. Dans sa main, elle tenait une écharpe, écarlate, comme son visage. La fille, qui portait un tablier gris identique au sien, ne se retourna même pas. Hannah avait dû courir derrière ces jambes montées sur ressort, ce cartable marron qui brinquebalait, ces boucles fauves telle une myriade de feuilles mortes dans la lumière de l'automne parisien. Interloquée, elle insista :
« Dis... Elle est à toi, cette écharpe ? » Cette fois, la grande s'arrêta net et lui fit face. Une nuée de taches de rousseur, un nez long, trop long dans un visage tout rond. Ses yeux d'un vert irréel, couleur de salade mouillée, transpercèrent Hannah, qui bredouilla :
« Je l'ai trouvée par terre, là-bas... »
Silence. Hannah chercha quelque chose à répondre quand l'étrange créature lui arracha l'écharpe des mains en sifflant :
« Très bien... Et maintenant, laisse-moi tranquille. Sinon je t'étrangle avec ! »
Puis elle relança sa course infernale, ses cheveux de feu au vent, prêts à rompre l'élastique qui les retenait.
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Hannah se dite que si à Paris la communauté judéo-turque avait tenté de recréer un petit Istanbul, les Juifs d'Istanbul reconstituaient le Paris de leurs fantasmes. Toujours entre deux pays, deux identités. Tel semblait le sort des exilés.
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"Il effleura son visage, comme pour le sculpter dans sa mémoire. Jusqu'au bout, Hannah avait cru qu'il renoncerait, qu'il ne les abandonnerait pas. Elle sentait la rage monte, silencieuse. Son père esquissa un dernier geste de tendresse vers Cécile qui sanglotait, délavée par le chagrin. Sa mère expira un bref au revoir et s'écroula. Le bruit des pas de Haïm s'évanouit dans l'escalier."
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Elle avait l’impression de se cogner aux bords de son cerveau. Son univers venait de basculer une seconde fois. En rompant avec Suzon et sa famille, elle avait coupé l’autre fil qui la reliait à son ancienne vie. Elle tenta de se reprendre avant de remonter chez sa mère, de résister à ce gel intérieur qui la figeait. Résister, toujours résister.
Une autre aurait été fière de son parcours de journaliste. Mais prendre le pouls de la planète s’accompagnait chez Hannah d’une implacable et secrète remise en question. L’avènement de ce monde libre dont on se gargarisait la laissait froide. Elle n’oubliait pas que cette France si civilisée avait laissé partir 73 000 vies en fumée, dont 3 qu’elle chérissait. Et rien, ni tombe ni dépouille. Le pays ruisselait d’héroïsme, mais on ne parlait jamais des juifs exterminés. Dans l’imaginaire collectif, seuls les combattants, les résistants, les déportés politiques pouvaient prétendre au rang des victimes. Personne n’assumait Vichy dont les principaux cadres, plus de 10 ans après, dirigeaient toujours l’Administration. On escamotait, on réécrivait l’histoire.
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Les semaines se transformèrent en mois. Hannah avait l’impression que le retour ne viendrait jamais, qu’elles resteraient toute leur vie face au Bosphore. La France s’éloignait et les souvenirs de son père aussi. Elle avait mauvaise conscience de ce séjour qui s’éternisait, quand la France s’enfonçait dans la misère et la guerre.
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Hannah ne confiait rien de ses tourments à ses parents. Elle craignait de les inquiéter, d’être retirée de l’école, comme d’autres filles. Cela aurait été une catastrophe. Des journées entières à la maison, à s’ennuyer.
Cécile enrageait d’exhiber en public ce qu’elle comparait à un tatouage de gibier. Au feu rouge, une dame coiffée d’un chignon, mise bourgeoisement, l’accosta. Cécile sursauta, mais la femme lui sourit. « Je suis catholique. Et j’ai honte pour mon pays, vous savez. »
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