Il y a des moments dans une vie où rien ne va plus, où le malheur se joue de nous sans crier gare. Ça amène un mal être, un mal de vivre qui balaye tout sur son passage. À quinze, à vingt ou à quarante ans, la souffrance est parfois telle qu'on veut lui tordre le cou à coup de cachets ou s'envoler pour finir mort écrasé sur le sol. Comme le fils de Et le jour sera pour eux comme la nuit, Denis, vingt ans. Il n'a laissé aucun mot, aucun indice avant son suicide.
Imaginez un instant vous retrouver devant le visage bleu ou blanc de votre enfant, mort devant vous… Imaginez la douleur, le cri de désespoir qui fait trembler la nuit. Puis imaginez l'après. Toutes ces premières fois sans lui. le premier dimanche, le premier déjeuner, le premier film, toutes ces premières fois sans lui. Parce que oui, comme l'écrit en d'autres mots Ariane Bois et d'autres, l'absence est une présence assourdissante.
Imaginez ensuite les questions. Pourquoi ? Pourquoi nous, pourquoi lui ? Qui avait vu ? Imaginez alors la douleur pour la mère (Laura), le père (Pierre), la soeur aînée (Diane), le petit frère (Alexandre), une douleur tue mais trahie par ce que tout le monde voit sauf vous : votre mine sombre parsemée de nouvelles rides et cernes, la maigreur chez cette soeur qui refuse de manger, comme un refus de vivre sans lui, la violence du petit qui ne comprend rien et perd pied. Mais la famille se tait, ne voit rien, enfermée dans des pensées cauchemardesques, emmurée dans une bulle noire de chagrin.
On fait tous la même prière
On fait tous le même chemin
Qu'il est long lorsqu'il faut le faire
Avec son mal au creux des reins
Est-il lâche ou courageux celui qui ose décider de sa mort, de son épilogue funeste ? Denis comme tant d'autres qui se sont suicidés ont perdu toutes raisons et envie de penser aux autres. C'est ce qui arrive quand on souffre trop, on ne voit plus les autres. On n'imagine pas ce qu'on va laisser après notre mort. On n'y pense pas. On a déjà trop à souffrir, ça use, c'est l'enfer, on ne sait plus ce qu'on va faire de soi, comme le chante l'autre Brel.
Ariane Bois écrit dans ce petit livre la vie pour ceux qui sont restés sur le bas côté, elle dissèque sur une année l'après de chaque membre d'une famille endeuillée avec une méticulosité sans précédent. Chaque mot est à sa place. L'empathie carbure, la gorge se noue, l'oxygène vient à manquer, jours et nuits se confondent dans une danse macabre.
Il y aurait tant à dire sur ce livre… tant à comprendre, à se dire pour que les idées d'en finir se taisent, tant à aimer et à y croire pourtant.
Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n'en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D'une nuit qui n'en finit plus
Voilà soudain qu'on y pense
A ceux qui n'en sont pas revenus
Du mal de vivre
Leur mal de vivre
Qu'ils devraient vivre
Vaille que vivre
Toutes mes lectures autour du deuil sont à retrouver sur la page A la croisée des maux de mon blog.
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