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Critique de HundredDreams


Cette petite nouvelle est comme une respiration entre deux romans plus imposants.
Figure majeure de la littérature chilienne contemporaine, j'ai eu envie de découvrir Roberto Bolaño avec cette petite nouvelle, la dernière publiée de son vivant.
Et j'en profite pour remercier Sachka pour cette belle proposition de lecture.

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Voici comment débute le récit de l'enfance difficile de Bianca :
« À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n'y a pas longtemps j'ai été une délinquante. Mon frère et moi on s'était retrouvés orphelins. D'une certaine manière, ça justifiait tout. On n'avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain. »

Le mot Lumpen est un terme péjoratif, voire injurieux, pour désigner les classes sociales les plus pauvres. C'est ainsi que se décrit Bianca.
L'adolescente vit à Rome à l'époque. Orpheline du jour au lendemain à la suite du décès de ses parents dans un accident de voiture, l'adolescente se retrouve seule avec son jeune frère.

« Nous sommes des oiseaux dans la tourmente, personne ne s'en rend compte. »

Bianca et son frère vivotent dans l'appartement familial grâce à de petits boulots, jusqu'à ce que son frère ramène deux hommes étranges et taiseux qu'il a rencontrés. Ils emménagent chez eux et paraissent vouloir s'installer durablement.
J'ai vu leur arrivée comme une menace latente, indéfinissable qui m'a troublée et mise mal à l'aise.

« Voilà ce qui me revient à la mémoire dans mes souvenirs de ce soir-là : de la nervosité et en même temps de la joie, une joie primordiale sans aucun doute, sans aucune fissure, qui transparaissaient sur les visages des amis de mon frère, des souvenirs que j'essaie de repousser chaque fois que je me rappelle ce moment-là, parce que je ne veux pas de cette joie pour moi ni auprès de moi. C'est une joie qui ressemble trop à la mendicité, à une explosion de mendicité, et c'est aussi une joie qui ressemble à la cruauté, à l'indifférence. »

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C'est à partir de ce moment-là que le récit se tend progressivement et que l'on devine une évolution prochaine dans le scénario. Et je dois bien avouer que le tournant pris par l'auteur m'a surprise car cette histoire m'est apparue crédible mais avec une part d'irréalité contenue, discrète, inattendue.

Après avoir fait des recherches pour mieux comprendre le texte, j'ai trouvé une autre définition du mot Lumpen. Il renvoie aux mots absurde, jugement, adolescence, stupide. Et à la lumière de cette nouvelle définition, j'ai eu la certitude que ce récit était plus profond qu'il n'y paraissait à première vue et que derrière les mots de l'auteur et de Bianca, il y avait un sens caché.

Est-ce que Bianca transforme la réalité de sa vie pour lui donner plus de profondeur et d'importance ? L'auteur étant connu pour son engagement littéraire, faut-il voir, derrière certains mots, une dimension politique, sociale ?
Dans les deux cas, j'en ai l'intime conviction.

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J'ai beaucoup aimé Bianca. Malgré son apparente passivité face aux évènements qui bouleversent sa vie, comment ne pas ressentir de l'affection pour cette jeune fille en manque de repères, qui se cherche, et avance sans l'appui de ses parents ?

Son récit est mélancolique, triste et le lecteur ressent de plein fouet sa fragilité, son chagrin, son deuil, sa solitude, sa honte, ses peurs. J'ai eu parfois la curieuse impression que ses sentiments et ses émotions se dissociaient de son récit, de son corps, comme si elle n'était pas reliée à la réalité.
Qu'elle rêvait peut-être à un autre futur, plus généreux avec elle.

« Certains soirs, je me mettais à la fenêtre et la nuit était aussi claire que le jour. Je pensais parfois que j'étais en train de devenir folle, que ça ne pouvait pas être normal, autant de clarté, mais dans le fond je savais que jamais je ne deviendrais folle. »

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Roberto Bolano a une écriture très plaisante, belle de simplicité, directe à l'image de la jeune femme, mais elle se revêt également de subtilité et de poésie, avec parfois des fulgurances lyriques.

« La maison de Maciste était une promesse et une maladie, et je tournais et virais dans la promesse et la maladie, et je sentais sur la peau lorsque mon corps, ou la vitesse que j'imprimais à cet instant à mon corps, passait d'un état à l'autre, la promesse irisée, la maladie, une chute ou un vol plané en oblique, déambulant, effleurant tout du bout des doigts, jusqu'à ce que j'entende la voix de Maciste qui m'appelait, qui me demandait où j'étais. »

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« le petit roman lumpen » est une nouvelle étonnante, imprévisible et sujet à de multiples interprétations. Elle se lit en une soirée et mérite sa découverte.
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