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Citations sur Un petit roman Lumpen (14)

Parfois, les soirs où je n'allais pas voir Maciste, j'ouvrais la porte à l'un des amis de mon frère, avec la lumière éteinte et les yeux fermés, parce que je ne voulais en aucun cas savoir qui c'était, et je faisais l'amour mécaniquement, et parfois je jouissais de nombreuses fois, ce qui en certaines occasions produisait en moi de violentes et inattendues crises de colère, qui me faisaient pleurer amèrement.
L'ami de mon frère me demandait alors si je me sentais mal, s'il m'arrivait quelque chose, si j'étais souffrante et, avant qu'il continue à parler, ce qui finirait par trahir son identité, je lui demandais de ne pas ouvrir la bouche ou je faisais chut, et il se taisait et continuait à baiser sans dire un mot, si grand était le pouvoir de suggestion ou de conviction ou de dissuasion que mes moindres gestes avaient acquis.
Un pouvoir quasiment surnaturel, suis-je arrivée à penser quelquefois (même si immédiatement après je me moquais de ces pensées), qui obligeait des êtres d'ordinaire bavards, comme le Bolognais, à se taire, ou des êtres silencieux, comme le Libyen, à se transformer en tombeau, un pouvoir qui laissait d'un coup sans questions des êtres rongés par la curiosité, qui instaurait un espace de silence et d'obscurité artificiels, où je pouvais pleurer et me tordre de douleur, parce que je n'aimais pas ce que je faisais, mais où je pouvais jouir toutes les fois que je voulais et où je pouvais marcher (ou palper la surface de la réalité du bout des doigts) sans me faire aucune illusion, sans me leurrer, sans connaître la signification de tout, mais bien le résultat final de tout, sachant pourquoi les choses sont où elles sont, avec un degré de lucidité que je n'ai plus eu, même si, parfois, je devine cette lucidité, là, tapie au-dedans de moi, réduite, démembrée, par chance pour moi, mais encore au-dedans de moi.
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En d'autres occasions, sans penser aux conséquences, je louais deux films à la fois. J'étais omnivore : j'aimais les films d'amour (qui me faisaient presque toujours rire), les films d'horreur classique, le cinéma gore, des thrillers psychologiques, des thrillers policiers, des thrillers de guerre. Quelquefois, je restais un long moment assise sur le pont Garibaldi, ou sur un banc de l'île Tibérine, pas loin de l'ancien hôpital, et j'examinais les jaquettes des films comme si c'étaient des livres.
Quelques voitures ralentissaient en passant à côté de moi. J'entendais des murmures auxquels je ne prêtais pas attention. En général, on baissait la vitre et on disait quelque chose, une promesse, puis les véhicules poursuivaient leur route. Il y avait des voitures qui passaient et ne s'arrêtaient pas. Il y avait des voitures qui passaient les vitres déjà baissées, avec des jeunes à l'intérieur qui criaient "fascisme ou barbarie" et qui, eux aussi, poursuivaient leur route. Moi, je ne les regardais pas. Je regardais les eaux du fleuve et les jaquettes de mes films et j'essayais d'oublier le peu de chose que je savais.
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J'ai cherché du travail. Tous les matins, j'achetais le journal, je lisais dans la cour du lycée la rubrique d'offres d'emplois et je soulignais ce qui m'intéressait. L'après-midi, après avoir déjeuné de n'importe quoi, je quittais la maison et je ne revenais pas avant d'avoir fait le tour des adresses. La plupart des offres d'emploi concernaient des boulots de pute, de manière dissimulée ou pas, mais je ne suis pas une pute, j'ai été une délinquante, mais pas une pute.

Un jour, j'ai trouvé du travail dans un salon de coiffure. Je shampooinais des têtes. Je ne coupais pas, mais j'observais comment les autres s'y prenaient et je me préparais pour le futur. Mon frère a dit que c'était stupide de se mettre à travailler, qu'avec la pension d'orphelinat on pouvait vivre heureux. Orphelinat, le mot faisait rire. Nous nous sommes mis à faire des comptes. En effet, nous pouvions vivre, mais en nous privant de presque tout. Mon frère a dit qu'il pouvait renoncer à trois repas par jour. Je l'ai regardé et je n'ai pas saisi s'il parlait sérieusement ou pour rire.
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- Tu es en train de devenir folle, a-t-il dit.
Je lui ai demandé s'il croyait que c'était bon ou mauvais. Il a dit que c'était toujours mauvais, sauf dans des cas extrêmes, lorsque devenir fou était une manière d'échapper à une douleur insupportable. Alors je lui ai dit que peut-être que j'étais en train de souffrir de façon insupportable, mais avant qu'il me réponde, je me suis rétractée :
- Je vais bien. Y a aucune douleur qui soit insupportable. Je suis pas devenue folle.
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À présent je suis une mère et aussi une femme mariée, mais il n’y a pas longtemps j’ai été une délinquante. Mon frère et moi on s’était retrouvés orphelins. D’une certaine manière, ça justifiait tout. On n’avait personne. Et tout était arrivé du jour au lendemain.
Nos parents sont morts dans un accident de voiture, au cours des premières vacances qu’ils ont prises seuls, sur une route pas loin de Naples, je crois, ou sur une autre horrible route du Sud. Notre voiture était une Fiat jaune, d’occasion, mais qui avait l’air neuve. Il n’en était resté qu’un tas de ferraille grise. Lorsque je l’ai vue, dans la casse de la police où il y avait d’autres voitures accidentées, j’ai demandé à mon frère de quelle couleur elle était.
— Elle n’était pas jaune ?
Mon frère m’a dit que oui, bien sûr qu’elle était jaune, mais c’était avant. Avant l’accident. Les collisions déforment la couleur ou déforment notre manière de percevoir la couleur. Je ne sais pas ce qu’il a voulu dire par là. Je le lui ai demandé. Il a dit : lumière… couleur… tout. J’ai pensé que le malheureux était plus affecté que moi.
INCIPIT
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À une autre occasion, il m’a dit :
— Pense au futur, pense à tout ce qui nous attend dans le futur.
Là, il se trompait. Dans le fond, moi j’avais toujours été en train de penser au futur. J’y pensais tellement que le présent était arrivé à faire partie du futur, la partie la plus étrange. Rendre visite à Maciste, c’était penser au futur, transpirer, entrer dans des pièces où l’obscurité était totale, c’était penser au futur. Un futur qui ressemblait à n’importe quelle pièce de la maison de Maciste, mais plus lumineuse, avec des meubles recouverts de vieux draps de lit ou de couvertures, comme si les propriétaires de la maison (une maison qui se trouvait dans le futur) étaient partis en voyage et n’avaient pas voulu que la poussière s’accumule sur les choses. Et c’était ça mon futur, et c’est comme ça que j’y pensais, si on peut appeler ça penser (et si on peut appeler ça futur).
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Parfois, je voyais toute ma vie en négatif : une maison plus grande, dans un autre quartier, des enfants, un meilleur travail, des années, la vieillesse, un petit-fils, la mort dans un hôpital public ou couverte par un drap dans le lit de mes parents, un lit dont j’aurais aimé entendre les grincements, des grincements pareils à ceux d’un transatlantique au moment de couler, mais qui, au contraire, était silencieux comme un cercueil.
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… je réfléchissais au sens de l’expression « changer notre destin », des mots qui n’avaient pour moi aucune signification, de n’importe quel côté que je les prenne, parce qu’on ne peut pas changer le destin, ou bien il existe ou bien il n’existe pas et s’il existe il n’y a pas moyen de le changer, et s’il n’existe pas nous sommes comme des oiseaux dans une tempête de sable, sauf que nous ne nous en rendons pas compte, évidemment, comme le dit la chanson de Luciano Marchetti : « Nous sommes des oiseaux dans la tourmente, personne ne s’en rend compte. » Bien que moi, je croie qu’il y a des gens, des gens très malheureux ou très malchanceux, qui s’en rendent parfaitement compte.
Il vaut mieux ne pas penser à ces choses-là. Elles arrivent, nous frôlent, s’en vont, ou bien elles arrivent, nous frôlent, nous enveloppent, et le mieux, toujours, c’est de ne pas y penser.
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Ensuite, tandis qu’il se dirigeait vers sa chaise, j’ai remarqué qu’un rayon de lune, gros comme une vague, pénétrait dans le gymnase. Maciste m’a déshabillée. Il m’a palpé le visage, la taille et les jambes.
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j’ai rêvé d’un désert. Je marchais dans un désert, à moitié morte de soif et je portais sur une épaule un perroquet blanc, un perroquet qui disait : « Je peux pas voler, je suis désolé, excusez-moi, je peux pas voler. » Il disait ça car à un certain moment du rêve je lui demandais de voler, parce qu’il était trop lourd (au moins cinq kilos, c’était un gros perroquet) pour que je le porte tout le temps, mais il n’y avait pas moyen que le perroquet abandonne mon épaule, et mes pas étaient de plus en plus hésitants, je tremblais de plus en plus, les genoux, les jambes, les aines, l’estomac, le cou me faisaient mal, c’était comme si j’avais eu un cancer, mais aussi comme si j’étais en train de jouir, un orgasme interminable et exténuant, ou comme si j’avalais mes yeux, mes propres yeux, essayant, c’est vrai, de les avaler et de ne pas les mordre, et le perroquet blanc de temps en temps m’encourageait, me disait : « Courage, Bianca », mais en règle générale il gardait le bec fermé, et je savais que lorsque je tomberais sur le sable brûlant et que je serais en train de mourir de soif, il prendrait son envol et s’éloignerait de ce coin du désert en direction d’un autre coin du désert, s’éloignerait de ma dépouille agonisante, s’éloignerait de mon cadavre pour toujours, pour toujours.
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