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Citations sur De la critique : Précis de sociologie de l'émancipation (26)

Poser la question de la domination consiste [...] à se demander comment des acteurs en petit nombre peuvent établir durablement un pouvoir sur des acteurs en grand nombre, les dominer en exerçant un contrôle sémantique sur la détermination de ce qui est, et les soumettre à une forme ou une autre d'exploitation. Comme dans l'exemple de la métaphore visuelle qui sert de frontispice au Léviathan de Hobbes - où la figure du souverain se trouve dessinée par l'accumulation des corps sur lesquels il exerce son pouvoir -, la question du nombre [...] consiste à se demander comment des êtres humains en petit nombre peuvent accroître leur force en se liant les uns aux autres de façon à donner l'illusion qu'ils agissent comme un seul homme. [...] Il s'ensuit que l'état de sujétion des dominés doit trouver son principe dans le fait même de leur séparation qui est tel que chacun d'eux ne peut mobiliser que sa propre force, en tant qu'individu isolé. Du même coup, la possibilité de lutter contre la domination, en faisant passer les dominés d'un état fragmentaire à un état collectif, constitue l'un des objectifs premiers du travail d'émancipation que se propose la critique. (p. 73-74)
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C'est l'existence de cette violence [symbolique] qui fournit sa principale justification à la critique, dont le premier mouvement consiste à dévoiler et à dénoncer la violence cachée dans les plis et les interstices des dispositifs de pacification associés aux institutions. Elle s'emploie alors à redécrire le travail de confirmation institutionnelle dans le registre de la violence et, par exemple, à dévoiler des "rapports de forces" sous les "rapports de droit", et elle s'autorise de cette redescription pour justifier les formes de violence - ne s'agirait-il que de violences verbales - qu'elle met elle-même en œuvre. Car la critique, particulièrement lorsqu'elle s'engage sur le terrain de la justice, peut difficilement se maintenir dans l'ordre des protestations posées de façon vague - comme on dit, "dans l'abstrait" -, par exemple à l'égard de cette entité abstraite que constitue "la société", sans se prolonger par des accusations portées contre des personnes. Or l'accusation n'est pas seulement génératrice de violences. Elle est déjà, par soi seule, une violence. (p. 147-148)
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Pour une grande part, la sociologie critique est une critique des institutions. C'est d'ailleurs la conjonction entre, d'un côté, la reconnaissance, dans l'esprit de Durkheim, de l'omniprésence des institutions et du rôle central qu'elles jouent dans le déroulement de la vie sociale et, de l'autre, le fait d'y voir surtout - contrairement à Durkheim - des instruments de domination, qui contribue à l'extension indéfinie du diagnostic de domination : c'est parce qu'il y a des institutions partout qu'il y a de la domination partout. (p. 86)
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Il est indéniable que le travail institutionnel de détermination et de qualification de ce qui est et de ce qui vaut exerce, quel que soit le genre de société où il est mis en œuvre, un effet de constitution d'une vérité officielle et aussi de ce que l'on met habituellement sous l'appellation de "sens commun" (et, particulièrement, d'un sens commun des conduites jugées normales ou anormales, à la façon dont l'entend la psychiatrie). Le pouvoir des institutions exerce par là un puissant effet sur ce que nous avons appelé la constitution de la "réalité" et, corrélativement, contribue fortement à assurer l'exclusion des possibles latéraux, c'est-à-dire la mise à distance du "monde". Les institutions, si nécessaires soient-elles, exercent donc bien [...] un effet de domination. (p. 149)
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Cette forme de domination ["complexe", ou "gestionnaire"] repose sur des dispositifs dont des individus ou des groupes peuvent tirer parti. Mais des personnes différentes peuvent, à différents moments, avoir prise sur ces dispositifs, ce qui rend difficile l'identification par la critique des détenteurs de puissances d'agir. Incarnées dans des individus, elles conservent néanmoins toujours un caractère plus ou moins impersonnel. La question de savoir qui sont les dominants s'y présente donc comme problématique. Ces dispositifs n'opèrent pas en cherchant à entraver le changement de façon à maintenir coûte que coûte une orthodoxie, comme dans les sociétés dites "totalitaires". Au contraire, ils interviennent en valorisant, en accompagnant et en orientant le changement. En ce sens, ils ont partie liée avec le capitalisme comme forme historique subsistant tacitement par un jeu de répétitions et de différences, mais qui prône le changement pour lui-même, en tant que source d'énergie. (p. 193)
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Le principal indice d'une situation pathologique n'est pas l'incohérence ou même le désaccord [...]. Car il appartient au cours normal de la vie sociale de n'être que très partiellement cohérent et de rendre malgré tout possible la coexistence d'êtres dont les différences et les divergences sont toujours plus fortes que ce autour de quoi ils se rassemblent, ne serait-ce que parfois. Ce qui doit induire l'identification d'une situation pathologique c'est, au contraire, la recherche maniaque de la cohérence, comme s'il pouvait être donné aux êtres humains de vivre dans un seul monde et, tous ensemble, toujours dans le même. (p. 177)
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Reviennent ainsi aux institutions toutes les tâches consistant à fixer la référence, particulièrement lorsqu'elle porte sur des objets dont la valeur importe et dont les prédicats doivent être stabilisés par des définitions. Sans ces tâches [...] quelque chose comme le capitalisme serait simplement impossible. [...]
Les opérations institutionnelles sont nécessaires non seulement pour arrimer des choses - matérielles ou immatérielles, comme le sont les titres - à des personnes ou à des organisations, de façon qu'elles puissent se transmettre, mais encore pour définir leurs propriétés, ce qui les transforme en produits ou en biens et rend possible l'établissement de marchés. (p. 119-120)
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Nous nous trouvons donc confrontés, du côté de la sociologie critique, à une construction ouvrant la voie à des possibilités carrément critiques, mais qui se donne des agents assujettis à des structures qui leur échappent et fait l'impasse sur les capacités critiques des acteurs. Et, du côté de la sociologie pragmatique de la critique, à une sociologie vraiment attentive aux actions critiques développées par les acteurs, mais dont les potentialités critiques propres paraissent assez limitées. [...]
Le problème est que ces deux approches, tout aussi justiciables l'une que l'autre, donneront des résultats différents, voire difficilement compatibles. Dans le premier cas, l'accent sera mis plutôt sur les contraintes et sur les forces qui pèsent sur les agents. Dans le second, l'accentsera mis plutôt sur la créativité et sur les capacités interprétatives d'acteurs qui, non seulement s'adaptent à leur environnement, mais aussi le modifient sans cesse. (p. 75-76)
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L'insistance mise [dans la sociologie critique de Pierre Bourdieu] sur les relations circulaires entre, d'un côté, les structures sous-jacentes et, de l'autre, les dispositions incorporées, concourt ainsi à résorber l'incertitude à laquelle les acteurs sont confrontés dans les situations où ils doivent agir. Or la notion d'action ne prend vraiment sens que sur fond d'incertitude, ou au moins par référence à une pluralité d'options possibles. Dans des contextes où tout semble joué d'avance, le concept même d'action tend à se vider de son sens. [...] Le changement social lui-même et aussi le rôle que joue la critique dans les processus de changement sont, dans ce cadre, difficiles à prendre en compte. (p. 44)
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Le capitalisme a toujours eu partie liée avec l'État. Il ne peut pas subsister en l'absence de ressources institutionnelles pour fixer des droits de propriété, des qualifications et des standards, ou de ressources dépendant d'un pouvoir administratif pour assurer la police et, particulièrement, pour garantir les contrats. On a vu ainsi que le tournant néolibéral des vingt dernières années n'a pas entraîné un dépérissement de l'État, mais sa transformation, sur le modèle de l'entreprise, pour s'ajuster aux nouvelles formes de capitalisme. (p. 235)
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