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Critique de tilly


— la littérature peut-elle être une arme de séduction non conventionnelle ?
— absolument : quand elle est maniée par Alain Bonnand !

Les titres des livres d'Alain Bonnand sont des énigmes poétiques au grand charme piquant. "La Grammairienne et la Petite Sorcière" (avec les majuscules comme il faut) : voyez, celui-ci ne déroge pas dans le registre sibyllin et délicieusement intriguant.

Or ce titre est aussi tout bêtement l'honnête résultat de la juxtaposition des sous-titres des deux parties qui composent le texte, comme on verra en allant à la table des matières. La grammairienne (un seul chapitre). La petite sorcière (quatre chapitres). Entre les deux une conjonction pour la coordination mais si neutre qu'elle ne dit rien du tout de ce qui lie les deux entités féminines. La quatrième de couverture, tellement parfaite qu'on dirait du Bonnand, vend un petit bout de la mèche.

* la grammairienne et l'écrivain
-— ces temps-ci, ou à peu de chose près
— sous la forme d'une correspondance par mail dont on ne lit que les messages de l'écrivain

D'abord il fait mine de s'étonner un peu qu'une enseignante-chercheuse en littérature s'intéresse à lui. On devine qu'elle insiste. Alors, il lui tend une perche irrésistible : il va retrouver chez lui, pour les lui faire lire, des textes non publiés, oubliés depuis la parution en 2003 de son "Je vous adore si vous voulez", un recueil des lettres de charme adressées en 1990 à Sylvie, jeune correctrice en maison d'édition qui occupait ses pensées nuit et jour, cette année-là. Sylvie l'ensorceleuse très résistante, une petite sorcière aux yeux noirs. Un amour sans le faire, qui aura fait couler beaucoup d'encre du stylo de l'écrivain.

Le narrateur est écrivain, il se prénomme Alain... une lectrice lui écrit, il répond ; les lettres, dit-il parfois, c'est ce qu'il fait de mieux en amour ; d'ailleurs vingt-cinq ans plus tôt il avait inondé de missives et de poèmes une adorée qui résistait.

Voilà Adeline chipée. On le serait à moins, même grammairienne (aux yeux noirs elle aussi), sérieuse mais pas austère. Une confidence entraîne un compliment, une évocation littéraire amène une anecdote bien libre, des promesses de plaisirs dont on entrevoit qu'ils seront moins intellectuels que ceux de la lecture partagée.

Danse avec les mots. Les petits atermoiements, infimes reculades, brefs effarouchements et faibles résistances de la dame, réjouissent et encouragent l'écrivain charmeur qui pousse sans peine son avantage du flirt à l'écrit.

Fin de la première partie. La romance e-épistolaire s'interrompt à la gare TGV Champagne-Ardenne où l'écrivain est venu attendre sa correspondante. Dans son baise-en-ville il aura glissé la sélection d'inédits censément écrits une bonne vingtaine d'années auparavant pour Sylvie, et soigneusement choisis de nos jours pour Adeline. Ce sont ces textes que nous lirons dans la seconde partie.

* la petite sorcière et l'écrivain
— marche arrière : 1990 ; à Paris, Reims et Naples
— quatre chapitres de formes différentes : un récit comme une courte nouvelle, quelques lettres, des notes à la volée, des poèmes

Le premier texte, très-très fitzgeraldien, raconte une première soirée en compagnie de Sylvie à l'occasion d'un cocktail de presse parisien. Alain Bonnand nous perd malicieusement dans le jeu auteur-?-narrateur-?-personnage-?. Plus tôt, l'écrivain (j'ai pas dit l'auteur) expliquait à Adeline qu'en cherchant les poèmes à Sylvie il était tombé sur ce texte qu'il ne se souvenait pas avoir écrit !

“ [...] tout y est dit des péripéties sentimento-littéraires d'une fin d'après-midi de janvier 90. Les noms de lieux gentiment romancés : “ rue du Petit-Édredon, boulevard Jolie-Môme, hôtel Maurice... “, mais un récit exact... ”

Exact, on ne saura jamais... mais cocasse, moqueur, brillant ! Cinématographique aussi. Découpage, mouvements, décors, figurants, silhouettes. Sylvie, la vedette principale, est le plus souvent hors-champ ou en arrière plan. Pourtant, comme le narrateur, on ne voit qu'elle !

Retour à l'épistolaire pour le deuxième morceau. Lettres de 1990, sur papier. Comme elles ne sont pas datées, on ne sait pas trop où elles s'insèrent dans le volume "Je vous adore", mais cela ne gêne en rien. On retrouve le ton inimitable de l'ironiste mélancolieux des premières lettres à Sylvie.

Troisième quart de la deuxième partie : notes brèves censées avoir été accumulées dans un carnet tout exprès équipé par Sylvie pour que son écrivain y note les réflexions, aphorismes, compliments qui lui venaient lors de leurs rencontres. Très poétique et tendre. J'aime particulièrement cette ligne mystérieusement prophétique :

“ Dix, vingt ans de silence ? ”

Pour finir, deux poèmes en prose, deux en vers. Quatre portraits. Ceux dont l'écrivain doutait que Sylvie les ait jamais lu...

Les quatre chapitres de la seconde partie font comme une farandole de miniatures, petites pièces parfaitement formées et ornées, variations de genre sur le thème annoncé par la première partie. Malgré cette structure particulièrement originale, élégamment travaillée, et étroitement reliée à des textes antérieurs, c'est une (fausse ?) impression de légèreté et de facilité qui se dégage à la lecture de la Grammairienne et la Petite Sorcière.

J'allais finir en oubliant que j'ai noté dans un cahier à part les nombreuses références littéraires trouvées dans La Grammairienne parce que j'apprécie que les auteurs que j'aime orientent mes lectures. Pour faire vite, je n'en reporte que deux ici :
Jacques Perret, "Bande à part"
Julio Cortàzar, plutôt qu'un titre (j'en ai déjà lu quelques uns) : son histoire infiniment touchante avec Carol Dunlop, leur voyage en camping-car, Les Autonautes de la Cosmoroute, leur tombe commune à Montparnasse
Julio Cortàzar, paroles de la milonga La Camarada (Hay cama en camarada)
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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