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Critique de Bouteyalamer


Comme beaucoup, je suis plus familier de Fictions – souvent relu - que du Livre de sable. Dans ce recueil tardif (1975), Borges montre moins de génie que dans Fictions (1956) mais fait preuve d'une maîtrise incomparable de la forme. On n'y trouve pas la logique perverse de la Loterie à Babylone, le vertige savant de la Bibliothèque d'Alexandrie ou la noirceur de Sud. En revanche son art du paradoxe et de la concision est achevé. Borges rédige onze de ses treize nouvelles à la première personne alors que les âges, les caractères, les lieux et les époques sont aussi divers qu'arbitraires. Il joue la précision d'un style froid, détaché et objectif quand il se moque de la vraisemblance. Et on le suit parce que chaque phrase est enrichie d'une idée, dans une perpétuelle fuite en avant.

On y trouve, principalement dans le congrès, le plus longue de ces nouvelles, le prodigieux mélange Borgien. L'accumulation monstrueuse des livres et leur destruction (p 52) ; les impressions brèves et impeccables (« Les enclos étaient empierrés ; le bétail nombreux, maigre et bien encorné ; les queues tourbillonnantes des chevaux touchaient le sol. Pour la première fois je connus la saveur qu'à la viande d'une bête fraichement abattue », p 42) ; les détails autobiographiques marqués d'ironie (« Un homme de lettres qui s'est consacré à l'étude des langues anciennes, comme si les modernes n'étaient pas suffisamment rudimentaires », p 28) ; le souvenir marqué de duplicité (« J'ai encore à la mémoire les deux aspects du domaine : celui que j'avais imaginé et celui que mes yeux contemplèrent enfin », p 41, « Les années passent, et j'ai si souvent raconté cette histoire que je ne sais plus très bien si c'est d'elle que je me souviens ou seulement des paroles avec lesquelles je la raconte », p 84) ; sans oublier la méchanceté « Il tirait vanité de choses diverses : du fait d'être uruguayen, d'être créole, d'attirer toutes les femmes , de s'habiller chez un tailleur très cher et, je ne saurai jamais pourquoi, d'être d'origine basque, alors que cette race en marge de l'histoire n'a jamais rien fait d'autre que de traire les vaches » p 38) ; et enfin la cruauté religieuse (« J'appris que depuis la fin de la dernière guerre, ce roi voyait d'un mauvais oeil les étrangers et qu'il avait l'habitude de les crucifier. Pour éviter un pareil sort, qui convient moins à un homme qu'à un Dieu, j'entrepris d'écrire une drapa, ou dithyrambe qui célébrait les victoires, la renommée et la magnanimité du roi », p 95).

Un Borges chimiquement pur.
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