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Critique de Alzie


La claire fontaine est un texte où David Bosc fait brièvement revivre Courbet durant les quatre dernières années de sa vie (1873-1877) dans une écriture à bout portant. Au plus près de sa "cible". J'avais tout récemment découvert et aimé Courbet ou La peinture à l'oeil, sous la plume érudite de Jean Luc Marion, ce petit livre, lui, apporte en complément une vision plus littéraire et personnelle d'un peintre qui reste encore trop exclusivement étiqueté chef de file de l'école réaliste. Ce texte court, resserré, modelé autour de fragments biographiques de la vie d'un artiste est un exercice de création qui a la faveur de l'édition actuellement. Dans le même esprit, le "Vertige Danois de Paul Gauguin" est également à recommander.

En présentant ici les motifs les plus récurrents de la peinture de Courbet, dans ses années fastes, tel le sommeil, l'eau, le désir, les femmes, les forêts, les animaux, la chasse, la nature non domestiquée, comme éléments de sa volonté de se gouverner lui-même, David Bosc ouvre la possibilité d'une méditation sur le sens et la force de la représentation en peinture. Si ce texte approche avec bonheur la matière avec des mots il consacre au passage les affinités qui s'établissent souvent entre peinture et poésie. Roman ? pas si sûr.

Courbet est déjà tout entier contenu dans les premières pages qui sont d'une grande portée poétique, teintée de mélancolie, car la fin de la vie de l'artiste est tristement connue, poignante même, et magnifiquement relatée par David Bosc. Image première de ce regard du peintre jeté en arrière qu'accompagne la fumée bleue de sa pipe (clin d'oeil anticipateur à celui qui a peint son autoportrait sous la forme d'une pipe). Courbet, tout autant contenu dans l'évocation des "Trois baigneuses", 1868, qui vient clore le dernier chapitre, une transposition audacieuse de la douleur qui n'aurait d'autre but que de célébrer la vie.

Avec Marcel Ordinaire, son acolyte depuis 1872, quittant Ornans et son Jura natal, mais surtout sa famille, en juillet 1873, laissant la Loue, la rivière dont il a représenté maintes fois la source, Courbet va s'établir à la Tour-de-Peilz, sur les bords du lac Léman, en Suisse, où il meurt le 31 décembre 1877 entravé par l'hydropisie, détruit par la cirrhose. Après la Commune, il a purgé une peine de six longs mois de prison à Sainte Pélagie où il a réussi malgré tout à peindre des natures-mortes, mais c'est le long procès, injuste, qui l'oppose ensuite à l'Etat au sujet de la démolition de la colonne Vendôme et dans lequel il laissera une grande partie de son énergie et de sa fortune, qui a décidé de cet exil, sujet du livre.

Dans le canton de Vaud qui l'a accueilli, il se choisit bientôt la maison de "Bon-Port" en janvier 1874 dont il confie l'intendance à un ancien proscrit de Marseille et son épouse, le couple Morel. Certaines de ses toiles ont pu discrètement franchir la frontière. Il réalise "Helvetia" (sculpture) en 1875, "La dame à la mouette" en 1876, "Le Grand panorama des Alpes" en 1877, inachevé qui orne à présent le musée de Cleveland et bien d'autres vues de Chillon et des environs. Courbet reste en Suisse tel qu'il a toujours voulu être, libre, sans entraves. Il est dans ses toiles comme il agit dans la vie : frontal, sans regrets ni arrangements superflus. La Semaine sanglante est passée par là.

On le suit au plus près, dans son intimité et ses appétits, se baignant dans le Léman ou dans sa baignoire en zinc, orchestrant ses tablées, ses beuveries aux terrasses des estaminets ou s'intéressant à des femmes élégantes, chantant, heureux malgré les emmerdements, entouré d'anciens communards ou de nouveaux amis démocrates. Il parle d'Ornans bien sûr, revoit son père qu'il portraiture encore une fois, sa soeur Juliette qu'il affectionne. Sa mère est déjà morte, l'ami Max Buchon Gustave Chauvey aussi. Zélie, son autre soeur, les rejoindra bientôt.

Ses oeuvres surgissent spontanément, bien vivantes, de sa mémoire, encore plus belles sous la poussée de l'écriture de Bosc : souvenirs d'un séjour en Saintonge accompagné de Corot, des falaises d'Etretat, des plages de Trouville ou de la côte à Palavas, baigneuse émergeant des vagues, femmes alanguies, immensité marine, hallali d'un cerf, paysage d'hiver.

« Ni nostalgique, ni moderne » Gustave Courbet, écrit avec justesse David Bosc, dont "la conscience du temps présent recouvrait bien davantage que l'époque", reste un artiste puissant, intemporel.
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