Je réfléchis à la façon des enfants ; ils ne raisonnent pas, ils imaginent.
L'enfant ne vit pas, comme nous dans un monde logique (ou qui paraît tel), mais dans un décor inventé aux dimensions innombrables de l'âme. L'on n'y est pas devant, mais au milieu des choses, dont on reste soi-même une parcelle indéfinissablement fondue à leur vie vibrante et qui étincelle pourtant au sein de cette confusion.
[...] j'étais content d'entendre six notes à la fois monter du piano, quand j'appuyais six doigts sur les touches blanches et noires.àMa main gauche d'abord me donna un travail de chien. Elle s'entêtait à jouer, exactement, ce que jouait la droite. Puis la droite, à son tour, joua la gauche. Évidemment, elles s'aimaient. On les sépara si cruellement qu'elles en vinrent vite à ne plus se connaître
[...] mon humeur changea.
Je ne dirai pas qu'elle s'assombrit, les enfants ne sont jamais sombres ; mais ils peuvent être peinés sans savoir pourquoi ils ont de la peine.
Vie sans espoir, absurde, et que pourtant j'avais vécue moi-même. J'évitais d'y penser. Sans oser me le dire, à part moi, je reniais ces moments si moroses de mon existence. Quand j'en rencontrais un dans ma mémoire, je détournais la tête. Ainsi fait-on devant un ami pauvre dont on craint l'abord.
Et cependant mon paradis de délices n'était-il pas contigu à ces lieux de relégation, odieux et secrètement inoubliables.
Inoubliables, soit! mais certainement odieux; et par conséquent, ici, volontairement oubliés...Je confesse mon ingratitude.
Mes songes ne demandent, en effet, qu'un mot pour envahir ma tête ; ils sont à l'affût du moindre murmure ; et il en faut bien peu, même aujourd'hui, pour mettre en mouvement leurs imprévisibles apparitions.
On ne sait vraiment attendre, que si l'on ignore ce que l'on attend. Car alors tout devient possible.