Fils de sorcières

C'était le plein milieu de la nuit. Je mes suis réveillé en entendant de grosses gouttes d'eau rebondir sur les vieilles tuiles du toit, juste au-dessus de ma tête, et cascader sur l'appui de ma fenêtre.
J'ai poussé un long soupir résigné. Ma petite soeur venait encore de faire un cauchemar !

- Chut, ne recommence pas. Je ne suis pas à Paris et il me faut au moins deux heures pour te rejoindre. Est-ce que tu peux m'attendre ou est-ce que tu es en danger ?
J'ai commencé à me sentir mieux.
- Non, ça va. Lisa et moi, on peut attendre.
- Lisa ?
- C'est ma petite soeur.
- ...
- C'est aussi ta fille.
- ...
Le silence a duré jusqu'à ce que Lisa m'arrache le téléphone. Elle avait un grand sourire.
- Ça va papa ?

J'ai levé les yeux vers papa. Il était plus mal coiffé que jamais, un magnifique coquard était en train d'apparaître autour de son oeil gauche, mais lui aussi semblait nager dans le bonheur.
Quant à maman, son sourire était si éblouissant qu'il valait une déclaration d'amour de cinquante pages...
Lisa m'a tiré par la manche.
- On est une belle famille, non ? s'est-elle exclamée.

Cette année, c'était la cabane. Pas une vulgaire hutte de branchages. Non, une construction en hauteur à faire pâlir de jalousie Tarzan et Robinson Crusoé réunis. Tout était prévu : terrasse avec hamac, cuisine avec eau courante, toboggan d'évacuation d'urgence, ascenseur à fonctionnement hydraulique, vigie, passerelle d'accès.
Il ne nous restait plus qu'à la construire.
J'avais déjà "emprunté" un marteau et des clous dans l'atelier de pépé et Baptiste devait se procurer une échelle de corde.
Tout un programme qui aurait capoté sous la pluie !
J'étais à un quart de poil de basculer dans mes rêves, lorsque la maudite musique des gouttes sur le toit a repris, plus forte cette fois. Ma petite soeur était pourtant rendormie et il est rare qu'elle fasse deux cauchemars d'affilée. Ce devait être une averse naturelle, celle-là. Adieu cabane !

Dans la chambre d'à côté, j'ai perçu le grincement du vieux sommier à ressorts de mes grands-parents, puis la voix de pépé Atlas suppliant sa femme :
- Pléioné, mes salades ! Elles vont pousser trop vite !
Mamie s'est levée, je l'ai entendue ouvrir les volets. Elle a claqué des doigts et lancé un petit cri :
- Allez ! Ouste !
J'ai fermé les yeux en souriant béatement. Si mamie s'en mêlait, la cabane était sauvée !

Quand on est petit, on ne s'embarrasse pas de principes ou de règles étroites. C'est une qualité que l'on perd en grandissant et c'est bien dommage.
Je ne savais pas comment agir ; ma petite sœur, elle, s'est jetée dans les bras de papa.