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Critique de Chestakova


Quarante ans après ma première lecture, je retrouve avec bonheur le Moscou fantasmagorique de Boulgakov, une ville échevelée et burlesque, dont le roman transfigure la réalité dans tout ce qu'elle a d'absurde et de cruel. D'une force terrible, par l'ironie, la poésie, l'imagination, le Maître et Marguerite est l'oeuvre de toute une vie. Boulgakov en commence l'écriture en 1928, il rédige et corrige sans cesse jusqu'à sa mort en 1940. Écrivain marginalisé par la doxa du régime, en proie à la censure, aux critiques, son récit est une oeuvre de résistance, pour la liberté d'écrire qu'il proclame bien haut, au nom de la création littéraire universelle, de Goethe à Pouchkine, jusqu'aux poètes maudits par le régime comme Mandelstam arrêté en 1930. Roman à tiroirs, tout entier en allusions et références littéraires, maniées avec un humour féroce, il nous plonge dans un univers où la fiction sans cesse est en miroir avec une réalité vivante et grinçante. Fourmillant de détails croqués sur le vif de la vie moscovite Boulgakov se garde toutefois d'une description trop fidèle des lieux, il s'amuse à brouiller les pistes et ses évocations sont rapides, incisives, elles brossent le décor sans appuyer le trait, il en ressort un paysage familier et fidèle. Celui des rues, des immeubles et des appartements communautaires de Moscou est certainement le plus présent ; la promiscuité des cuisines où chacun apporte son réchaud à pétrole (primus), la gourmandise des prétendants à s'installer dans tel appartement devenu vide, les harengs et la vodka, le paysage des rues avec leurs jardins, leurs statues, leurs lieux mythiques, la bureaucratie partout jusque dans le milieu du théâtre, les rivalités du monde des écrivains de Griboïedov à Peredelkino, la vivacité des dialogues lancés avec fougue… le roman réussit à camper le quotidien dans sa vérité, sur la toile de fond d'une fable incroyable qui prend forme au 302 rue Sadovaïa dans l'appartement 50. Car Wolan le diable, est de la fête, dès le premier chapitre, et il sera partout, accompagné par une clique improbable et facétieuse, dans un réel défi au pragmatisme scientifique et raisonnable de l'idéologie dominante qui tentera toujours de ne pas voir, pour interpréter les faits de la façon qui l'arrange. Je n'avais pas gardé en mémoire, pendant ces dizaines d'années, le détail des faits et gestes de la troupe satanique et les déboires de tous ceux qui croisent sa route. J'avais toutefois clairement le souvenir du premier chapitre ,au bord de l'étang du patriarche : tout le roman déjà s'y inscrit : le rapport ambigu entre le doute et les certitudes, l'absurde de la mort annoncée de Berlioz, la folie en germe d'Ivan, l'arrivée mystérieuse de Wolan sur le banc, la mise en place du roman dans le roman, avec la présentation de Ponce Pilate dans cette Jérusalem qu'il hait si bien…C'est le diable qui introduit Ponce Pilate dans le récit, ce diable omniscient qui a réussi à s'introduire au travers des lignes écrites par le Maître sur l'arrestation et la mort de Jésus, ce Maître un peu tombé du ciel, qui fera son apparition sur un balcon, la nuit, dans une clinique psychiatrique. Écrivain désenchanté, il brûle son manuscrit et l'amour de Marguerite ne le sauvera pas. Boulgakov lui-même, dans ses tourments et son aspiration au repos., se cache à peine derrière ce Maître. le diable lui, tire les ficelles, il a mené le bal, au sens propre comme au sens figuré, peut-il en être autrement dans un monde de tromperie et de terreur ?
Livre culte, le Maitre et Marguerite est une oeuvre majeure, la traduction d'André Markowicz est un bijou de précision qui permet de redécouvrir le texte et de l'éclairer. Malgré tous mes efforts je n'ai pu faire figurer sur le site, la couverture de ce livre publié aux éditions INCULTE, je renvoie les lecteurs à cette édition récente.
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