Peut-être qu'en fin de compte
Mikhaïl Boulgakov est mort de dégoût… Usé par les tracasseries du pouvoir en place tout au long de son existence d'écrivain, meurtri par la censure exercée sur ses écrits, blessé par la non reconnaissance de son pays, lui qui depuis est proclamé comme l'un des grands écrivains russes… Peut-être avait-il vis-à-vis de lui-même une amertume d'avoir, parfois, cédé et s'être auto-censuré. Quoi de plus douloureux dans le processus artistique. Plier, tellement parfois qu'on se demande si on pourra se tenir à nouveau droit.
Boulgakov orphelin de sa patrie d'origine, l'Ukraine, nostalgique de sa ville aimée Kiev, traîne une mélancolie sourde. Sous sa plume alerte, acerbe, sarcastique pointe une douleur sensible à l'air et aux humains de son temps. Lui qui jeta son métier de médecin aux orties pour écrire, disséqua ses compatriotes, le pouvoir en place avec dextérité. Dans ce petit opuscule , un journal tenu par le docteur Poliakov , celui-ci raconte sa dépendance de plus en plus mortifère à la
morphine. Addiction que
Boulgakov lui-même aura pendant un certain temps. En quelques lignes, il narre les conditions d'un médecin de campagne perdu dans les plaines ukrainiennes, les combats opposants les nationalistes ukrainiens et les bolcheviks ; ces affrontements, cette descente aux enfers dans la guerre est son propre abîme de morphinomane. Ce petit journal sec et tendu est une défaite. L'impuissance d'un homme face à la violence, face à la chimère qu'exerce sur lui la
morphine. Illusion de se perdre dans des contrées plus propices, de s'éloigner d'un monde cruel, de se détacher du monde des hommes et ne plus se sentir le complice muet de leur folie. S'évanouir dans la neige, devenir transparent, invisible, indicible. La Révolution est en marche et
Boulgakov songe à fuir ; éreinté par ce qu'il voit, les exactions des troupes nationalistes, les pogroms, un monde qui s'affronte et s'effondre.
Mikhaïl Boulgakov toute sa vie d'écrivain métamorphosera la réalité de son pays en écrits satiriques, fantasques, noirs, diaboliques, intimistes, profondément humains et souvent désenchantés. Sous cette mystification, la réalité abrupte est toujours en embuscade. Une drogue et un sevrage impossible.