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Critique de AnnaDulac


Très rares sont les livres comme celui-ci : inoubliables. Ils s'insinuent dans une part mystérieuse de l'être-lecteur, où ils habitent et d'où ils rayonnent, à jamais.

C'est dans un paysage méditerranéen, palmiers, eau bleu marine, aridité qu'Ivan Bounine a fait ressurgir, par la puissance de l'écriture, les steppes, les bouleaux blancs, les neiges de sa Russie natale. Son enfance dans une campagne perdue et « un manoir isolé ». Ses études. Ses visites dans des villes dont le seul nom le faisait rêver. Ses parents. Les courses folles à cheval. L'amour de Lika.

Exilé à Grasse, après la Révolution d'Octobre, Ivan Bounine, aristocrate de vieille souche « glorieuse, bien que désargentée »,
Prix Nobel en 1933, a écrit cette « Vie d'Arseniev », non pas comme une autobiographie, mais comme un manifeste de son existence.

Les mots sont capables de susciter des épiphanies, des apparitions, aussi bien chez celui qui écrit que chez le lecteur.

Les mots créent et recréent le monde, racontent le bruit des traîneaux sur la glace, saisissent la lumière diffuse dans les feuillages, et finalement terrassent la mort.

Le récit commence très simplement : « Je suis né il y a un demi-siècle, en Russie centrale, dans le domaine paternel. »

Et immédiatement, Bounine parle du sentiment de finitude : « Sans cette conscience de ma condition mortelle, aurais-je pu aimer la vie comme je l'ai aimée et l'aime encore ? »

Tout est dit. La mémoire et les mots qui l'incarnent sont les seuls remparts contre la disparition.



Bounine-Arséniev raconte de manière très émouvante et dans une langue extraordinairement poétique comment il s'est éveillé à la vie et aux sensations.

« Mon premier souvenir est quelque chose d'assez ténu, qui me laisse perplexe. Je me souviens d'une grande pièce éclairée par un soleil d'arrière-saison, dont l'éclat sec illuminait le flanc de la colline que l'on apercevait de la fenêtre donnant au midi. »

« En grandissant, j'ai commencé à m'intéresser au spectacle de la vie, à enregistrer dans ma mémoire des visages, des tableaux de notre existence au manoir et certains événements. »

Il y a aussi les premières bottes rouges, une petite boîte de cirage en écorce de saule, de « petites joies humaines… »

« Tout doucement les gens entraient dans ma vie, pour en faire partie à jamais. »

Le père qui vit dans une « heureuse oisiveté, si répandue chez les hobereaux », « gai à table », « versatile », « chasseur », « flambeur »…

Et la mère « inséparable de ma propre personne », riche de tant d'amour qu'elle ne peut être que triste, parce que « les choses et les êtres que nous aimons sont pour nous une souffrance, ne serait-ce que par la crainte perpétuelle de les perdre. » ou « Elle suffoquait d'un trop-plein d'amour pour son entourage. »

Pourtant la « Vie d'Arseniev » n'est nullement un texte amer ou tissé de regrets. Il est l'existence même.

On y trouve « les confins de la steppe », l'immensité des paysages, l'amour, l'ouragan, les grêlons, un radis croqué dans le jardin potager, le cocher en chemise de soie jaune et gilet de velours…


Bounine est un auteur dans la lignée de Tolstoï. Il parle d'un monde révolu, d'avant la Révolution, doux-amer.

On peut trouver la « Vie d'Arseniev » en collection de poche.
Il faut le découvrir absolument.


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