L’être le plus matériel, le moins préoccupé des pensées do l’au-delà, n’a pu traverser l’Europe, à cette heure tragique où les peuples les plus civilisés s'apprêtaient à se ruer les uns sur les autres avec la fureur sauvage des hordes barbares ou des bêtes fauves, sans être frappé de l’élan des âmes vers les sommets de la pensée et de la foi.
En trois jours, j’ai vu des spectacles tels qu’on ne les croit possibles que dans les romans héroïques; j’ai entendu des paroles que l’auteur d’un drame encadrerait d’une grandiose mise en scène — et tout cela fait et dit le plus simplement du monde par des gens d’allure presque vulgaire
Dans la cathédrale de Strasbourg, j’ai passé deux des heures les plus longues et les plus courtes de ma vie. Là j’ai vu des femmes, des vieillards, des enfants qui venaient prier pour les absents et pour la patrie; — comme partout ailleurs, sans doute, mais avec quelle angoisse qui n’existait que là! car pour eux, la “patrie”, c’est la France; et le fils, l’époux, le frère, le fiancé, parti sur le chemin de la mort, combat sous les drapeaux du conquérant, de l’ennemi détesté! Peut-on concevoir un drame d’âme plus déchirant?