Citations sur En attendant Bojangles (681)
Hystérie, bipolarité, schizophrénie, les médecins l’avaient accablée de tout leur savant vocable pour désigner les fous à lier. Et ils l’avaient liée à un bâtiment déprimant, et ils l’avaient liée chimiquement avec des tonnes de médicaments, et ils l’avaient liée pour sa démence sur une simple ordonnance, tamponnée d’un caducée. Il l’avaient liée loin de nous pour la rapprocher des fous.
Maman était installée au deuxième étage de la clinique, celui des déménagés du ciboulot. Pour la plupart le déménagement était en cours, leur esprit partait petit à petit, alors ils attendaient calmement la fin du nettoyage, en mangeant des médicaments.
Le problème c’est qu’elle perdait complètement la tête. Bien sûr, la partie visible restait sur ses épaules, mais le reste, on ne savait pas où il allait.
Le problème avec le nouvel état de Maman, c’est qu’il n’avait pas d’agenda, pas d’heure fixe, il ne prenait pas rendez-vous, il débarquait comme ça, comme un goujat.
Après un silence d'une éternité, l'orchestre avait démarré et mes parents avaient commencé à danser doucement en se tournant autour, la tête légèrement baissée et les yeux dans les yeux, comme s'ils étaient en train de se chercher, de s'apprivoiser. Pour moi, c'était beau et angoissant à la fois. Puis la grande dame en rouge et noir se mit à chanter, les guitares s'énervèrent,les cymbales se mirent à frétiller, les castagnettes à claquer, ma tête à tourner et mes parents à voler. Ils volaient mes parents, ils volaient l'un autour de l'autre, ils volaient les pieds sur terre et la tête en l'air, ils volaient vraiment, ils atterrissaient tout doucement puis redécollaient comme des tourbillons impatients et recommençaient à voler avec passion dans une folie de mouvements incandescents.
Puis elle s’isolait pour pleurer de chagrin, on avait l’impression qu’elle n’allait jamais s’arrêter, comme lorsqu’on a pris trop de vitesse en dévalant une pente, ses chagrins venaient de très haut, ses chagrins venaient de très loin, elle ne pouvait pas y résister.
Ce compte à rebours, qu’au fil des jours heureux, j’avais oublié de surveiller, venait de se mettre à sonner comme un réveil malheureux et détraqué, comme une alarme qui fait saigner les tympans avec son incessant vacarme, un bruit barbare qui nous dit qu’il faut fuir maintenant, que la fête vient de se finir brutalement.
Son comportement extravagant avait rempli toute ma vie, il était venu se nicher dans chaque recoin, il occupait tout le cadran de l’horloge, y dévorant chaque instant. Cette folie, je l’avais accueillie les bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m’en imprégner, mais je craignais qu’une telle folie douce ne soit pas éternelle. Pour elle le réel n’existait pas. J’avais rencontré une D’on Quichotte en jupe et en bottes, qui chaque matin, les yeux à peine ouverts et encore gonflés, sautait sur son canasson, frénétiquement lui tapait les flancs, pour partir à l’assaut de ses lointains moulins quotidiens. Elle avait réussi à donner un sens à ma vie en la transformant en un borderline perpétuel. Sa trajectoire était claire, elle avait mille directions, des millions d’horizons, mon rôle consistait à faire suivre l’intendance en cadence, à lui donner les moyens de vivre ses démences et ne se préoccuper de rien.
- Mais enfin, dans quel monde vivons-nous ? On ne vend pas les fleurs, les fleurs c’est joli et c’est gratuit , il suffit de se pencher pour les ramasser. Les fleurs , c’est la vie, et à ce que je sache on ne vend pas la vie ! Et puis je n’ai pas été renvoyée, je suis partie toute seule, de mon propre chef, j’ai refusé de participer à cette escroquerie généralisée. J’ai profité de la pause déjeuner, et je suis partie avec le plus gros bouquet jamais confectionné dans le monde entier.
- C’est tout à votre honneur de réussir à allier vos valeurs avec un comportement de voleur. Il y avait déjà Robin des bois, moi j’ai épousé la Rapine des fleurs !
- Mon petit, dans la vie, il y a deux catégories de personnes qu’il faut éviter à tout prix. Les végétariens et les cyclistes professionnels. Les premiers, parce qu’un homme qui refuse de manger une entrecôte a certainement dû être cannibale dans une autre vie. Et les seconds, parce qu’un homme chapeauté d’un suppositoire qui moule grossièrement ses bourses dans un collant fluorescent pour gravir une côte à bicyclette n’a certainement plus toute sa tête. Alors, si un jour tu croises un cycliste végétarien, un conseil mon bonhomme, pousse-le très fort pour gagner du temps et cours très vite et très longtemps !