AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Le Disciple (86)

J’étais, à cette époque déjà, passionné de lecture, et le hasard m’avait mis entre les mains des volumes très différents de ceux qui se donnaient en prix dans les distributions. Voici comment : quoique mon père, en sa qualité de mathématicien, eût peu de lettres, il aimait quelques auteurs, qu’il comprenait à sa manière ; (...) Entre autres ouvrages, mon père possédait dans sa bibliothèque une traduction de Shakespeare en deux volumes sur lesquels on m’asseyait pour hausser ma chaise devant la table quand le temps fut venu de quitter mon siège de bébé. On me laissait ensuite, et sans y prendre garde, manier ces volumes, illustrés de gravures qui incitèrent bientôt ma curiosité à lire des morceaux du texte. C’était une lady Macbeth se frottant les doigts sous le regard terrifié du médecin et d’une servante, un Othello entrant le poignard à la main dans la chambre de Desdémone et penchant sa face noire sur la blanche forme endormie, un roi Lear déchirant ses vêtements sous les zigzags des éclairs, un Richard III couché dans sa tente et environné de spectres. Et, du texte qui accompagnait ces gravures, je lus tant et tant de fragments que je finis par me familiariser avant ma dixième année avec ces drames qui exaltaient mon imagination dans ce que j’en pouvais saisir, sans doute parce qu’ils ont été composés pour des spectateurs populaires et qu’ils comportent un élément de poésie primitive et un grossissement enfantin.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
C’est aujourd’hui que je regrette vraiment mon père, que je comprends ce que j’ai perdu en le perdant. Je crois vous avoir nettement marqué ce que je lui dois : le goût et la facilité de l’abstraction, l’amour de la vie intellectuelle, la foi dans la science, le précoce maniement de la bonne méthode : voilà pour l’esprit (...).

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
Il en était de même des fleurs qu’il me dressait à ranger dans un herbier, des cailloux que je cassais sous sa direction avec un petit marteau en fer, des insectes que je nourrissais ou que je piquais, suivant les cas. Bien avant que l’on ne pratiquât dans les collèges les leçons de choses, mon père appliquait à mon éducation première sa grande maxime : « Ne rien rencontrer que l’on ne s’en rende compte scientifiquement, » conciliant ainsi la paysannerie de ses premières impressions avec la précision acquise dans ses études mathématiques. J’attribue à cet enseignement le précoce esprit d’analyse qui se développa en moi dès cette première adolescence, et qui se serait sans doute tourné vers les études positives, si mon père avait vécu.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
Mon père aimait la campagne, naturellement, parce qu’il avait été élevé dans un village, que tout petit il avait passé des journées entières au bord des ruisseaux, parmi les insectes et les fleurs. Au lieu de s’abandonner à ses goûts d’une manière simple, il y mélangeait ses préoccupations actuelles de savant. Il ne se serait point pardonné d’aller dans la montagne sans y étudier la formation du terrain ; de regarder une fleur sans en déterminer les caractères et sans en découvrir le nom ; de ramasser un insecte sans se rappeler sa famille et ses mœurs. Grâce à la rigueur de sa méthode en tout travail, il était arrivé ainsi à une connaissance très complète de la contrée ; et, quand nous marchions ensemble, cette connaissance faisait la matière unique de notre entretien. Le paysage des montagnes lui devenait un prétexte pour m’expliquer les révolutions de la terre. Il passait de là, sans efforts, avec une clarté de parole qui me rendait de telles idées perceptibles, à l’hypothèse de Laplace sur la nébuleuse, et j’apercevais distinctement en imagination les protubérances planétaires s’échappant du noyau enflammé, de ce torride soleil en rotation. Le ciel de la nuit, par les beaux mois d’été, devenait une espèce de carte qu’il déchiffrait pour mes yeux de dix ans, et où je distinguais l’Étoile polaire, les sept étoiles du Chariot, Véga de la Lyre, Sirius, tous ces univers inaccessibles et formidables dont la science connaît le volume, la position et jusqu’aux métaux.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
Parmi les circonstances qui agirent sur moi durant mon enfance, je crois que voici une des plus importantes : chaque dimanche matin, et aussitôt que je pus lire, ma mère commença de m’emmener avec elle à la messe. Cette messe se célébrait à huit heures dans l’église des Capucins, assez nouvellement bâtie sur un boulevard planté de platanes, qui monte du cours Sablon à la place du Taureau, en longeant le jardin des Plantes. À la porte de cette église se tenait assise, devant une boutique volante, une marchande de gâteaux, appelée la mère Girard, que je connaissais bien, pour lui acheter au printemps de petits bâtons auxquels quatre ou cinq cerises pendaient, attachées par du fil blanc. C’étaient les premiers de ces fruits que je mangeasse dans la saison. Cette friandise aigre et fraîche fut une des sensualités de ces jours d’enfance.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          10
J’ai constamment éprouvé, par exemple, une horreur singulière pour l’action, si faible fût-elle, au point que de faire une simple visite me causait autrefois un battement de cœur, que les plus légers exercices physiques m’étaient intolérables, que d’entrer en lutte ouverte avec une autre personne, même pour discuter mes idées les plus chères, m’apparaît, encore aujourd’hui, chose presque impossible. Cette horreur d’agir s’explique par l’excès du travail cérébral qui, trop poussé, isole l’homme au milieu des réalités.

Chapitre IV. Confession d'un jeune homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
Mes réflexions postérieures m’ont fait reconnaître dans plusieurs traits de mon caractère le résultat, transmis sous forme instinctive, de l’existence en études abstraites menée par mon père.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
(...) j’évoque à mon gré ces menus détails où tout n’était que pensée, et ces images m’aident à comprendre comment dès ma lointaine enfance le rêve d’une existence purement idéale et contemplative s’élabora en moi, favorisé sans doute par l’hérédité.

Chapitre IV. Confession d'un homme
&. I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00
Car mon véritable moi n’est, à proprement parler, ni celui qui souffre, ni celui qui regarde. Il est composé des deux, et j’ai eu de cette dualité une perception très nette, bien que je ne fusse pas capable alors de comprendre cette disposition psychologique exagérée jusqu’à l’anomalie, dès mon enfance, – cette enfance que je veux évoquer d’abord en essayant de tout abolir de l’heure présente et avec l’impartialité d’un historien désintéressé.

Chapitre IV. Confession d'un homme d'aujourd'hui
& I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          10
Aussi loin que je remonte en arrière dans mon passé, je constate que ma faculté dominante, celle qui s’est trouvée présente à travers toutes les crises de ma vie, petites ou grandes, comme elle se retrouve présente aujourd’hui, a été la faculté, j’entends le pouvoir et le besoin du dédoublement. Il y a toujours eu en moi deux personnes distinctes : une qui allait, venait, agissait, sentait, et une autre qui regardait la première aller, venir, agir, sentir, avec une impassible curiosité. À l’heure actuelle, et tout en sachant que je suis là en prison, accusé d’un crime capital, perdu d’honneur et aussi accablé de tristesse, que c’est bien moi, Robert Greslou, né à Clermont le 5 septembre 1864… et non pas un autre, – je pense à cette situation comme à un spectacle auquel je demeure étranger.

Chapitre IV. Confession d'un homme d'aujourd'hui
& I. Mes hérédités
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (121) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

    Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

    Honoré de Balzac
    Stendhal
    Gustave Flaubert
    Guy de Maupassant

    8 questions
    11242 lecteurs ont répondu
    Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

    {* *}