Car elle les connaissait, ces gens-là, pour les avoir vus de près en nettoyant leur crasse, en ravaudant leurs bas et en lavant leurs culottes. Ils pouvaient se cacher derrière de beaux discours. Rien ne pouvait être dissimulé à la femme de chambre. Surtout pas la vérité de l’âme, celle des méchancetés dites avec des airs contrits où le mot, même plaisant, a des accents papelards. Les bourgeois se ressemblaient tous
Le sens du mot « générosité » a beaucoup d’importance pour nous. Voilà ce que nous inculquons aux jeunes filles que notre Seigneur nous confie.
Après tout, il n’y a aucune honte à s’avouer vaincue. Rappelez-vous l’évangile : « Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. »
D’autres formules vertueuses furent dites pour étourdir davantage l’âme que l’on voulait soumettre.
Les réponses à ses questions se trouvaient pourtant là, à l’abri des épaisses murailles. Combien de jours faudrait-il attendre avant de repartir, soulagée d’avoir élucidé la cause de son si long tourment ?
Valentine garda devant elle les mains serrées sur la poignée de son bagage. C’était une petite valise défraîchie et ventrue, qu’une ficelle de chanvre entrecroisée sur son cuir maintenait fermée. Les Dartois tenaient l’étrangère sous l’interrogation aiguë de leurs yeux. Mais elle ne perdit rien de sa contenance. Elle patienta docilement, prenant soin de ne jamais affronter du regard ceux qui, avec une impudence soupçonneuse, lui sondaient l’âme et le corps.
Pour l’avoir vu ailleurs, la servante connaissait ce mobilier et ses compartiments secrets. Il suffisait de pousser un petit ergot pour découvrir l’or et les bijoux, l’argent et toute la précieuse quincaillerie. Mais rien de cela ne l’intéressait, pas plus que les lettres de menaces ou de chantage, les amours illégitimes aux correspondances ardentes, les vices et les fantasmes inavouables du propriétaire. Quand elle découvrit dans le double fond d’une malle les jolis bas de soie, les corsets fanfreluchés, les gorgerettes et les délicieuses batistes, un mince sourire erra sur sa figure.
Ce qui avait été quelques mois plus tôt un ruisseau méandreux où l’eau et le sable jouaient de leurs limites devenait à la mauvaise saison un torrent puissant et mortel.
Il lui fallait être économe de ses mots, afin de ne pas paraître trop hardie. Car elle les connaissait, ces gens-là, pour les avoir vus de près en nettoyant leur crasse, en ravaudant leurs bas et en lavant leurs culottes. Ils pouvaient se cacher derrière de beaux discours. Rien ne pouvait être dissimulé à la femme de chambre. Surtout pas la vérité de l’âme, celle des méchancetés dites avec des airs contrits où le mot, même plaisant, a des accents papelards. Les bourgeois se ressemblaient tous. Cependant, elle savait y faire, Valentine : se taire au bon moment et dire ce qu’il fallait, quitte à passer pour une sotte.