Et moi, là-dedans, […] au gré d’un monstrueux hasard, le miracle qui ne s’est pas encore manifesté, la main qui ne s’est pas encore tendue. J’ai le pouvoir d’arracher un être humain au cauchemar, sinon de lui rendre la vie, d’interrompre au moins son agonie. Je suis celui qui peut bloquer le déclic, mettre le cran de sûreté, ne serait-ce que jusqu’à demain : celui qui peut en sauver au moins un, comme a dit Favard, dérisoire et pourtant quelle victoire !
"Vous savez, dis-je - et je ne souris plus, ma gorge est serrée - qu'ils arrêtent tous les Juifs, même les femmes, les enfants..."
Eh bien oui, je me l'avouais : qu'elle s'en aille maintenant où elle voudra, qu'elle me laisse. J'en ai marre. Marre d'elle. Marre de décider, de marcher, de discuter, d'avoir peur. Marre de la chaleur, de la police, de me trouver encore à Paris, de n'être pas à l'aise dans ma peau. Marre des Juifs ...
N'oubliez pas combien nous étions jeunes.
La démarche est très simple. Avec un enfant, ce serait plus compliqué : un enfant ne suit pas n'importe qui, à moins qu'il n'ait conscience du danger réel. Je commencerais alors par : "Ecoute, petit ...", mais je n'ai aucune chance s'il n'a pas au moins une dizaine d'années.
Chaque regard porté sur eux, même innocemment comme les miens, et qui les identifiait comme Juifs, les poignardait; chaque fois qu'ils lisaient le mot juif sur les murs, dans le journal, ils mouraient un peu plus: on les a lentement égorgés, leur sang a coulé goutte à goutte.
Même après cinq à six heures de rafle, personne ne semble en voir la gravité, ni en être véritablement ému.
Pourtant ce cri rauque résonne encore dans ma tête. Dans les leurs aussi, c'est certain.
Je suis ici pour sauver quelqu'un.
Madame, je suis étudiant, je ne suis pas juif, et je peux vous aider à passer les barrages : ils ne demandent pas leurs papiers aux femmes accompagnées. Voulez-vous ? ...