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Critique de HundredDreams


En chroniquant un roman de Louise Erdrich, un nom est apparu au détour des commentaires, celui de Joseph Boyden. Coup de coeur de plusieurs amis sur Babelio, je n'ai pas longtemps hésité à me jeter sur ce roman dont le magnifique titre et la couverture pleine d'une douleur sourde et touchante me plaisaient.
Je referme ce livre et je me demande comment, face à un livre d'une telle qualité à la fois littéraire, émotionnelle et historique, je vais pouvoir trouver les mots pour rendre compte de mes émotions et dire combien ce roman m'a plu, émue, touchée, bouleversée.

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Ce récit porte un regard intéressant sur un aspect de la Première Guerre mondiale que je ne connaissais pas. En effet, j'ai appris que des Amérindiens s'étaient portés volontaires pour combattre en Europe.
Nous sommes en 1919. Xavier Bird revient chez lui, dans l'Ontario, après plusieurs mois passés dans l'enfer des tranchées d'Europe. Parti avec son ami d'enfance Elijah Whiskeyjack, il revient seul, bien différent du jeune homme insouciant, robuste et confiant qu'il était auparavant : il est amaigri, malade, amputé d'une jambe et fortement dépendant de la morphine.

Sur le quai de la gare, sa seule parente encore vivante, Niska est là. Après un voyage de plusieurs jours en canoë jusqu'à la ville, la vieille indienne Cree pensait accueillir Elijah à la descente du train. Quelle n'est donc pas sa surprise de découvrir son neveu Xavier qu'elle croyait mort rentrer sans son meilleur ami.

« Où est-il ? Nous aurons passé toute la guerre côte à côte pour nous perdre aux tout derniers jours. Un obus est tombé trop près. Il m'a lancé dans les airs et, soudain, j'étais oiseau. Quand je suis redescendu, je n'avais plus ma jambe gauche. »

C'est un voyage de trois jours qu'ils vont entamer en redescendant la rivière vers la Baie d'Hudson pour retrouver leur terre, leur forêt, loin de la civilisation et des hommes blancs.

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J'ai aimé la progression de l'histoire qui s'ancre à la fois dans le présent et dans le passé des deux protagonistes.
On suit le méandre de leurs pensées qui se croisent. A chaque coup de pagaie, le récit glisse dans le territoire des souvenirs de Xavier ou de Niska dans un fondu parfait qui permet de passer d'une histoire à une autre sans que le lecteur perde de vue l'ensemble.

Sous l'effet de la morphine, le jeune homme nous laisse voir sa vie avant la guerre, les parties de chasse avec son ami, l'expérience de la guerre. Les souvenirs le hantent, le tourmentent. La guerre l'a forcé à faire des choix pour survivre. Mais quelque chose s'est brisé en lui, son innocence, son âme d'enfant.

« Vous vous conduisez en lapins, l'heure est venue de vous conduire en loups ! »

Alors que les réserves de morphine se réduisent comme peau de chagrin, Niska voit son jeune parent souffrir et s'affaiblir. Craignant que plus rien ne le retienne à la vie, la vieille chasseuse de windigos essaie de l'amarrer à sa vie d'avant, à son histoire, à ses souvenirs heureux, à ses racines, en lui parlant l'histoire de sa famille, d'Elijah, de ses pouvoirs de vision et de guérisseuse transmis par son père.

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L'auteur ne cherche pas les effets de style, au contraire. Sobre, sensible, mélancolique, poétique et d'une justesse parfaite, c'est par la simplicité que l'auteur a réussi à me toucher.

Campés avec autant de justesse, de profondeur que de tendresse, les trois magnifiques personnages de ce roman prennent vie et forme sous sa plume poétique. Plus vrais que nature, terriblement attachants, leurs personnalités se dessinent peu à peu. Si Elijah est désinvolte, intrépide et exubérant, Xavier est au contraire réservé et peu bavard. Quant à Niska, elle déborde d'un amour discret et bienveillant.

« Mon corps vibre à la douleur de Neveu ; à l'idée qu'il n'est rentré chez lui que pour mourir. »

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Avec ce récit, le lecteur part à la découverte du peuple nord-amérindien des Ojibwa-Cree situé dans le Nord de l'Ontario.
A mesure que Niska se remémore son passé, on pénètre leur culture, leurs traditions, leurs légendes et leurs modes de vie traditionnels. Mais en même temps, on prend conscience des conditions de vie extrêmement rudes des peuples amérindiens subissant la domination des Blancs, l'auteur mettant l'accent sur la politique d'assimilation et de « civilisation » par l'éducation des enfants autochtones dans des pensionnats.

Le lecteur est aussi catapulté dans l'horreur des tranchées. L'auteur les décrit avec brutalité mais sans exubérance.
Les talents de chasseurs des deux jeunes indiens sont vite repérés par les gradés, des qualités utiles pour la guerre. A mesure que le ciel canadien s'assombrit de nuages et que le tonnerre résonne au loin, les souvenirs de Xavier reviennent auxquels les grondements des canons, le sifflement des obus, leur choc assourdissant et leur souffle meurtrier font écho. Entre peur et survie, absurdité et folie, douleur et fatigue, souffrance intérieure et mal du pays, les mots tombent, explosent, se fracassent, répandant chairs et entrailles sur le sol détrempé et crevassé, gorgé d'eau croupie et de cadavres en décomposition.

« Je glisse dans un demi-sommeil bizarre, couché là, sous la surface de la terre, parmi les morts. Je sais qu'ici, je suis en sûreté, que mon heure n'est pas venue de les rejoindre. »

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« le chemin des âmes » est un roman choral puissant et poignant, violent et cruel, tendre et pudique qui évoque avec subtilité des destins brisés par la bêtise des hommes.
Il y a beaucoup d'amour, de tristesse et de souffrance dans ce livre. J'en ressors émue, conquise par l'émotion de ce récit aussi sombre et que lumineux. Ses personnages vont m'habiter pendant longtemps tellement j'ai aimé partager, au fil des pages, leurs vies, leurs joies et leurs souffrances, leurs doutes et leur honte.
Un roman passionnant, foisonnant.
Un très gros coup de coeur.
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