Je suis lasse des ombres

Le Père Noël, c'était pour les enfants, m'avaient -elles répété.
- C'est une blague sadique perpétrée par les parents qui veulent couvrir leurs affreux rejetons de cadeaux tout en évitant le contact physique, avait insisté Daffy l'an dernier. C'est un mythe. Tu peux me croire. Après tout, je suis plus âgée que toi. Je sais ces choses-là.

Il m'arrivait de me sentir au bord d'un océan froid, un pied dans le Nouveau Monde et un pied dans l'ancien. Tandis qu'ils s'éloignaient irrémédiablement, je courais le risque de me retrouver déchirée en deux.

Ma vie serait-elle donc toujours ainsi ? Allais-je éternellement passer en quelques secondes du soleil à l'ombre ? Du chaos à la solitude ? D'une colère intense à un amour encore plus intense ?

Pour Daffy, l'argent représentait des livres, et bien que Buckshaw en contînt plus que la bibliothèque de Bishop's Lacey, aux yeux de ma sœur, ce n'était jamais assez.

Les livres sont comme de l'oxygène pour un plongeur sous-marin, avait-elle déclaré un jour. Retirez-les-moi et vous n'aurez plus qu'à commencer à compter les bulles.

"- J'aime les livres où il pleut sans arrêt, m'avait-elle un jour confié. C'est tellement réaliste"

Avec Dogger, parler à n'en plus finir était superflu. Nous échangeâmes un regard qui se passait de mots. Nous avions embarqué dans le même train de pensées et hormis le triste décès de Phyllis Wyvern, tout allait bien dans le meilleur des mondes.

_Oh non! Il ne faut pas lui demander ça. Les spectacles de charité sont sa bête noire: elle ne veut pas en entendre parler. Un incident dans son enfance, je crois.Vous feriez mieux de le prévenir avant qu'il n'aborde le sujet. Sinon on aura droit à une scène de tous les diables!

Nous le savions tous: il y avait des périodes où Buckshaw n'était accessible qu'à pied.