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Critique de motspourmots


Camille Brunel aime renverser la table, forcer son lecteur à changer d'angle de vue, le bousculer dans ses certitudes ou simplement sa paresse intellectuelle. Il avait déjà fait très fort avec La guérilla des animaux il y a deux ans en mettant en scène un militant extrémiste de la cause animale dans un roman engagé et plutôt provoquant mais qui ne pouvait laisser indifférent, et dont les effets sur certains lecteurs se ressentent encore aujourd'hui dans leurs assiettes. Alors il serait dommage de s'arrêter en si bon chemin, surtout lorsqu'il reste beaucoup de choses à dire et d'individus à sensibiliser. Ce nouveau roman est beaucoup moins violent, il en émerge même parfois des images très poétiques, mais tout aussi troublant dans les questionnements qu'il génère. Il est bien sûr question de notre rapport aux autres espèces vivantes, sujet de plus en plus prégnant dans notre actualité et clé pour notre futur.

Imaginez donc un étrange virus qui provoque chez l'être humain un processus de métamorphose qui le change soudain en animal, de façon totalement aléatoire et imprévisible. La jeune Isis, animaliste et végane ne sait pas encore que la grue Antigone, spécimen en principe absent du territoire européen, qu'elle découvre dans son jardin est l'un des premiers individus métamorphosés, qui bientôt vont se multiplier à travers le monde et susciter l'émoi des gouvernements, épuiser les médecins et les chercheurs et dérégler le fonctionnement des infrastructures, prélude à l'effondrement de la civilisation. Il semblerait néanmoins que les hommes soient plus concernés que les femmes, la nature semble avoir ses raisons... Isis observe tout ceci avec un mélange de jubilation, elle qui prône l'égalité des espèces, traite sa chatte Dinah comme sa fille et lui enseigne à ne pas blesser les autres animaux, mais également d'inquiétude par rapport au destin de ses proches et d'elle-même. Elle prie en silence pour que sa future identité, si métamorphose devait advenir, soit compatible avec celle de Dinah, car nul n'ignore que tous les animaux ne cohabitent pas forcément très bien, chaîne alimentaire oblige. Nous en aurons d'ailleurs quelques démonstrations spectaculaires au fil de l'histoire...

On pourrait facilement sourire de ces élucubrations, ce n'est pas du tout le cas. Camille Brunel connait bien son sujet, et joue sur plusieurs ressorts pour tenir son lecteur en haleine, sans oublier les clins d'oeil au processus épidémique que nous sommes tous en train d'expérimenter, et l'ancrage dans notre monde hyper connecté. Il y a tout d'abord de fantastiques descriptions d'animaux et des scènes époustouflantes de métamorphoses, l'occasion de découvrir des espèces dont on ignorait tout. Il y a au centre la réflexion sur nos liens entre animaux, nous les mammifères évolués parait-il et tous les autres que nous enfermons dans les zoos, que nous mangeons, chassons ou asservissons. Avec ce petit twist, ce grain de sable qui bouscule tout : si un animal était auparavant notre soeur, mère ou fils, pourquoi avons-nous envie et besoin de le traiter différemment des autres animaux ? Faut-il que l'animal ait été humain pour que l'on se préoccupe de son bien-être ? Et plus tard : "Est-ce qu'on aura oublié que les autres espèces viennent d'humains, comme nous avions oublié notre ancêtre commun à l'époque des élevages ?". Troublant, non ?

Et d'autant plus efficace que l'auteur n'oublie pas de s'amuser et d'offrir à son lecteur un spectacle à la beauté singulière, riche en rebondissements, passant de la sphère intime à l'échelle de la planète. Et réservant le meilleur pour la fin, avec une scène de clôture aussi esthétique que poétique. A se demander si le monde ne serait pas plus beau comme ça.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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