Tout est parti de la scène du prologue, dans la jungle, qui est la concrétisation d’un fantasme très primaire : venger sur place, immédiatement, le massacre des animaux sauvages. Mais très vite, ne se préoccuper que des animaux sauvages m’a semblé très insuffisant, pour ne pas dire injuste. C’est bien la relation de l’humain à tous les animaux qui me paraît viciée, pas uniquement aux plus beaux ou aux plus libres.
Parce qu’il était hors de question d’écrire un roman de l’extérieur, en touriste, je suis devenu végétarien et j’ai commencé à militer avec toute la ferveur dont j’étais capable, pour me rapprocher le plus possible du personnage que je voulais décrire. J’ai énormément appris d’un côté sur le militantisme en rejoignant le mouvement animaliste, mais aussi sur sa philosophie en découvrant les textes des Cahiers antispécistes, et sur la cognition animale via les textes des éthologues. C’était un travail tel qu’il ne pouvait se cantonner à la partie de ma vie consacrée à l’écriture. Il fallait que cela devienne ma vie, sinon ce n’était pas la peine. Il fallait que l’apprentissage soit permanent, sinon je n’avais aucune chance d’aller suffisamment loin pour apporter quoi que ce soit au débat. J’ai étudié l’animalisme au cinéma, dans la littérature, j’ai visité des parcs animaliers et manifesté contre eux, assisté à toutes sortes de happenings. Je le fais toujours maintenant que le livre est fini, évidemment.
De façon plus prosaïque, je suis parti de la biographie de Gandhi, que j’ai décalée de cent ans dans le futur. Cela m’a donné une structure grossière pour la trame d’origine. J’avais aussi une série de tableaux en tête, que j’ai disposés à ma guise sur cette trame. L’assemblage s’est rapidement mis à produire du sens. Ensuite, il n’y avait plus qu’à écrire. Le premier jet m’a pris deux ans, mais je n’ai jamais cessé de le retravailler jusqu’à la publication en 2018.
Il y a beaucoup de choses réfléchies dans le livre, mais le style n’en fait pas vraiment partie. Disons qu’étant très expansif dans les images et le récit, j’essaie de l’être un peu moins dans le style, de rattraper un peu de sécheresse de ce côté-là, ce qui explique la brièveté, parfois la brusquerie de certains passages. Mais oui, cette dureté du style, et la rapidité impitoyable des chapitres, vont de pair avec le sentiment d’urgence face à l’incendie géant qui ravage le monde animal. Ce que je veux dire c’est que ça a plus à voir avec qui je suis qu’avec quelque chose que j’aurais fabriqué à l’occasion. Ce qui est certain, c’est que c’était là dès le départ, même si le travail du texte, dans la plupart des cas, a consisté à couper des phrases trop longues ou à raccourcir les passages dès que les éléments nécessaires à la compréhension du mouvement, de l’image et de l’idée étaient déjà tous présents.
Un absolu, c’est-à-dire la lutte ultime, la lutte des luttes ? Honnêtement j’ai envie de répondre oui, même si ça va sembler excessif. Je pense vraiment que le rapport aux animaux est à la source de tous nos maux, sexisme, racisme, classisme, capacitisme, etc, et que cette source est dans un bunker d’autant plus imprenable que même les personnes humaines visées par des oppressions ne pensent pas forcément à s’y attaquer aussi, soutenant malgré elles les schémas de pensée qui les écrasent.
L’antispécisme a ceci de vertigineux qu’il s’attaque à toutes les formes d’essentialisme, toutes les étiquettes, les catégorisations hâtives : le monde animal étant infiniment varié, il oblige à s’adapter en permanence à la situation et aux individus concernés, sans s’appuyer au préalable sur les traits prédéfinis conférés par un quelconque groupe englobant. C’est une découverte permanente du monde, et la reconnaissance que sa complexité excède le savoir humain, ses lois, ses croyances, chose que notre civilisation si fière d’avoir marché sur la lune et inventé internet a tendance à oublier. L’antispécisme est humiliant au sens noble du terme, c’est une leçon d’humilité.
Elle est très proche du mantra de Sea Shepherd cité dans La Guérilla des animaux évidemment : « Until they can defend themselves, we will do it for them. » J’aurais juste tendance à me méfier poliment des gens qui veulent défendre la « nature », mot certes pratique pour être compris du public, mais qui a tendance à mettre les animaux dans le même sac que les arbres et les rivières. Cela me dérange dans la mesure où c’est suggérer que la sentience, qui nous distingue du végétal, est négligeable dans le cas des animaux… Je suis proche des ZAD, et je les soutiens partout où elles existent, moins parce que je veux défendre la nature que parce qu’il s’agit d’environnements où vivent des individus non-humains, qui n’ont pas les moyens de combattre leurs envahisseurs. Mais l’idée de légitime défense appliquée au combat pour tout ce qui ne peut pas se défendre soi-même (chose qui caractérise pour le coup les arbres et les animaux, mais les enfants aussi) me séduit beaucoup, et je serais curieux de voir comment les avocats animalistes peuvent y avoir recours.
Ce futur est malheureusement très envisageable, pas tant parce que l’animalisme risque de se radicaliser que parce que les démocraties où il a pu voir le jour sont en train de se radicaliser, elles, de se laisser gagner par une sorte de gangrène sécuritaire répugnante qui fait qu’à terme, on pourra se retrouver lourdement condamné pour avoir appelé au boycott de la viande d’agneaux ou filmé une chasse à courre. Le livre est un message aux enfants de demain, oui : il faut s’attendre au pire… Et ne rien tenir pour acquis. La fin du livre aurait été très différente si je n’avais pas été aussi effaré, comme tout le monde, de la vitesse et de la violence à laquelle les États-Unis ont pu passer de Barack Obama à Donald Trump.
Il y a trois raisons à la montée en puissance du véganisme et de l’animalisme dans nos sociétés ces dernières années. La première tient aux découvertes scientifiques qui ont été faites concernant l’impact écologique de l’élevage et l’intériorité des animaux (leurs « mondes intérieurs » comme dit Boris Cyrulnik), grâce à l’usage des dernières technologies d’observation notamment (de la caméra HD au satellite à l’IRM). La seconde tient aux réseaux sociaux, qui ont permis à ces découvertes scientifiques d’atteindre le grand public un peu plus rapidement que la nouvelle de l’héliocentrisme à l’époque. La troisième profite des deux premières : il y a 20 ans, les végétariens et les véganes se sentaient bien seul.e.s et lâchaient l’affaire au bout de trois dîners en famille et deux visites chez le docteur ; aujourd’hui, les réseaux sociaux se chargent de donner des informations et du courage. Il faut bien qu’ils aient de bons côtés…
Probablement un livre pour enfants. Si ça n’est pas Où est mon trésor ? d`Eiko Kadono et Mako Taruishi, alors c’est Le Tour de France par deux enfants d`Anne Pons, le premier roman que j’ai lu tout seul.
Anima de Wajdi Mouawad. Chaque chapitre est raconté par un animal différent.
Le Portrait de Dorian Gray, d`Oscar Wilde. J’étais en 3e. C’était la première fois que j’aimais un livre autant qu’un film.
Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar.
Alors là, il y en a beaucoup… Je n’ai jamais lu La Condition Humaine d`André Malraux.
Jetez un œil à Magie industrielle de Patrice Blouin chez Hélium. Poésie du blockbuster.
Pardon mais : La Chartreuse de Parme de Stendhal (et pourtant j’aime beaucoup Le Rouge et le Noir)
« Où me sauver ? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu’en toi. »Marguerite Yourcenar, Feux.
Pas de la littérature, mais c’est ce qui m’occupe : Un guide pour la décolonisation : après tout, à qui appartient cette terre ?. C’est un recueil de textes d’universitaires issu.e.s des Premières Nations, édité en français cette année par le CSIA (Comité de Solidarité avec les Indiens des Amériques). Ça colle extraordinairement bien avec la guerre de décolonisation du monde déclarée par mon personnage à l’espèce humaine... il n’y a pas de coïncidences.
Découvrez La Guérilla des animaux de Camille Brunel aux éditions Alma :
Par Casterman Avec Camille Brunel et Silène Edgar, auteurs ; Vincent Villeminot, directeur de collection Modération : Clémence Bard, éditrice de la collection Durée : 45mn Présentation de la collection regroupant aujourd'hui cinq romans ado et jeune adulte et autant d'auteurs qui viennent ici s'aventurer sur des territoires inédits pour eux. Camille Brunel, Silène Edgar, Marine Carteron, Luc Blanvillain, Rachel Corenblit une collection qui ne prétend pas regarder l'adolescence mais regarder le monde, ici, maintenant, dans toute sa diversité et sa complexité.
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