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Critique de Fandol


En 2016, Gaël Faye nous a remis en mémoire, le terrible génocide rwandais dans Petit Pays. La même année, ce même drame immense était vécu dans les pas d'un enfant avec J'ai longtemps eu peur de la nuit, de Yasmine Ghata mais j'avoue que le Triangle d'incertitude de Pierre Brunet, publié cette année, va encore plus loin en emmenant le lecteur sur les pas des soldats français impliqués dans l'opération Turquoise, au travers du vécu d'un officier.

Il se nomme Étienne. Il était lieutenant de vaisseau dans les commandos de marine et, deux ans après son retour du Rwanda, voilà qu'il quitte l'écluse de Paimpol à bord de son voilier, Gilliat, et note sur son journal de bord : « Je vais tenter de trouver dans le vent marin une autre existence. »

Pierre Brunet alterne alors entre le carnet de bord du bateau et un narrateur qui développe davantage en prenant de la hauteur par rapport à tous ces souvenirs qui torturent Étienne et le poursuivent sans cesse. Pas un moment depuis son retour en France n'échappe à ce mois d'août 1994 où « Les hommes coupaient les gens ou volaient les vaches et les femmes pillaient les maisons de leurs anciens voisins. »
Impossible de s'en remettre malgré l'aide de ses proches et d'un psy de l'armée. On partage sa douleur mais l'auteur va plus loin en détaillant l'attitude de l'armée française laissant faire le massacre dans ces collines de Bisesero alors que les assassins étaient clairement identifiés et que les survivants vivaient des heures atroces pour tenter d'échapper à la mort : « Nous n'avons pas tué, là-bas, nous n'avons fait qu'être absents au moment où d'autres tuaient. »
De 40 000 Tutsis au début, ils n'étaient plus que 2 000 trois mois après pour seulement 800 survivants quand les opérations de secours arrivent enfin, ce qui hante toujours Étienne : « Mille deux cents vies perdues sur la conscience. » Pourtant, les hommes, sur le terrain avaient alerté leurs supérieurs qui avaient fait remonter les informations les plus alarmantes jusqu'en haut lieu… sans réaction !

Le récit est prenant, haletant parfois, très émouvant souvent, suffisamment précis en tout cas pour être très dérangeant pour notre pays car les appels à l'aide ont été lancés et des milliers de vies auraient pu être sauvées. Pierre Brunet ne cache pas les causes de cette indifférence coupable, expliquant très bien, au travers des cauchemars de son héros, pourquoi les militaires français laissaient faire leurs homologues Hutus qu'ils avaient formés quelques années auparavant.

Sur Gilliat, ce voilier qu'il traite comme une personne, Étienne traverse la Manche en passant par Jersey et Guernesey. Si vous avez pratiqué la voile, vous comprendrez sûrement l'avalanche de termes techniques car l'auteur détaille avec précision et délectation toutes les manoeuvres. Pour moi, cela n'est pas important car j'ai frémi, tremblé, jusqu'au bout de cette mémorable scène de sauvetage dans une mer déchaînée avec, toujours, des références au drame rwandais : « Ma tête doit avoir besoin de se vider. J'ai probablement une voie d'eau quelque part, au fond de l'esprit. Il me faut écoper chaque jour et rejeter sur ces pages ce que la pompe de cale de ma raison ne parvient pas à écluser.»

Le Triangle d'incertitude - référence à la position en mer obtenue par triangulation, technique remplacée par le GPS - est un roman nécessaire.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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