Citations sur Les trente-neuf Marches (13)
- Mais je croyais que vous étiez mort! interrompis-je.
-Mors janua vitae(1), sourit-il.
[...]
- Je compris que j'étais emboité comme un hareng mariné et qu'il ne me restait un seul moyen d'en sortir. Je n'avais plus qu'à décéder.
[...]
- Et comment avez vous fait?
- Je racontai à l'homme qui me sert de valet que je me sentais au plus mal et je m'efforçai de prendre un air d'enterrement. Puis je me procurai un cadavre - il y a toujours moyen de se procurer un cadavre à Londres quand on sait où s'adresser.
1. La mort est la porte de la vie
J’ouvris ma porte et le fis entrer. Il n’eut pas plus tôt franchi le seuil qu’il prit son élan vers la pièce du fond, où j’allais d’habitude fumer et écrire ma correspondance. Puis il revint immédiatement.
— La porte est-elle bien fermée ? demanda-t-il fiévreusement.
Et il accrocha la chaîne de sa propre main.
— Je suis absolument confus, dit-il humblement. Je prends là beaucoup de liberté à votre égard, mais vous me semblez être quelqu’un capable de comprendre. Je n’ai cessé de vous observer depuis huit jours que les choses se sont gâtées. Dites, voulez-vous me rendre un service ?
Je venais d’introduire ma clef dans la serrure quand un homme surgit à mes côtés. Je ne l’avais pas vu s’approcher, et son apparition soudaine me fit tressaillir. C’était un individu fluet à la courte barbe brune et aux petits yeux bleus et vrilleurs. Je le reconnus pour le locataire du dernier étage, avec qui j’avais déjà échangé quelques mots dans l’escalier.
— Puis-je vous parler ? dit-il. Me permettez-vous d’entrer une minute ?
Il contenait sa voix avec effort, et sa main me tapotait le bras.
J’appris qu’on le haïssait comme une vraie bête noire à Berlin et à Vienne, mais que nous allions le soutenir ; et un journal voyait même en lui la dernière barrière entre l’Europe et la catastrophe. Je me demandai à ce propos s’il n’y aurait pas un emploi pour moi de ce côté-là. L’Albanie me séduisait, comme étant le seul pays où l’on fût à l’abri du bâillement.
Cet après-midi-là je venais de tarabuster mon agent de change au sujet de placements, à seule fin de m’occuper l’esprit, et avant de retourner chez moi j’entrai à mon club — un estaminet pour mieux dire, qui admettait des coloniaux comme membres. Je pris un apéritif à l’eau, en lisant les feuilles du soir. Elles ne parlaient que du conflit au Proche-Orient, et il y avait entre autres un article sur Karolidès, le premier ministre grec. Il me plaisait, ce gars-là. C’était sous tous rapports le seul homme en vue considérable ; et, de plus, il jouait un jeu loyal, ce qu’on n’eût pu dire de beaucoup d’autres.
(...) je fus vite désillusionné. Au bout d’une semaine j’étais las de voir les curiosités de la ville, et en moins d’un mois j’en avais assez des restaurants, des théâtres et des courses de chevaux. Mon ennui provenait sans doute de ce que je n’avais pas de vrai ami pour m’y accompagner. Beaucoup de gens m’invitaient chez eux, mais ils ne s’intéressaient guère à moi. Ils me lançaient deux ou trois questions sur l’Afrique du Sud, et puis revenaient à leurs affaires personnelles.
Je me mordais les lèvres au souvenir des projets que j’avais échafaudés pendant ces dernières années à Buluwayo. En y amassant ma fortune — il y en a de plus grosses, mais je la trouvais suffisante –, je m’y étais promis des plaisirs de toutes sortes. Emmené loin de l’Écosse par mon père dès l’âge de six ans, je n’étais pas revenu au pays depuis lors : l’Angleterre m’apparaissait donc comme dans un rêve des Mille et Une Nuits, et je comptais m’y établir pour le restant de mes jours.
Richard Hannay, mon ami, me répétais-je, tu t’es trompé de filon, il s’agirait de sortir de là.
Cet après-midi de mai, je revins de la City vers les 15 heures, complètement dégoûté de vivre. Trois mois passés dans la mère patrie avaient suffi à m’en rassasier. Si quelqu’un m’eût prédit un an plus tôt que j’en arriverais là, je lui aurais ri au nez ; pourtant c’était un fait. Le climat me rendait mélancolique, la conversation de la généralité des Anglais me donnait la nausée ; je ne prenais pas assez d’exercice, et les plaisirs de Londres me paraissaient fades comme de l’eau de Seltz qui est restée au soleil.
Des grandes dames impérialistes me conviaient à des thés où je rencontrais des instituteurs de Nouvelle-Zélande et des directeurs de journaux de Vancouver, et où je m’ennuyais au-delà de tout. Ainsi donc, à trente-sept ans, sain et robuste, muni d’assez d’argent pour me payer du bon temps, je bâillais tout le long du jour à me décrocher la mâchoire. Un peu plus et je décidais de prendre le large et de retourner dans le « veld » (1), car j’étais l’homme le plus parfaitement ennuyé du Royaume-Uni.